Le secret des reines de Diopelfe

Chapitre 6

Je crois bien ne pas être rentrée dans mon bureau depuis la fois où je l'ai visité, lorsqu'Elowyn et Mirelty me faisaient découvrir le palais. Assise sur le merveilleux fauteuil rouge, j'ai étalé les fiches des gardiens sur le bureau colossal en bois massif. Je n'apprends pas beaucoup plus que ce que je sais déjà sur eux en lisant leurs dossiers.

Cependant, je tombe sur une rubrique expliquant la façon dont ils ont atteint leur statut et je ne peux cacher ma surprise. Elowyn a pris la suite de son père, mais avant de lui céder sa place, ils se sont mis au défi de s'empoisonner avec un poison peu connu. Le premier qui trouvait l'antidote gagnait la place de chef. Sept secondes, c'est le temps qu'il lui a fallu pour le trouver ; une minute, le temps pour le fabriquer ; vingt-deux secondes pour l'ingurgiter et le faire avaler à son père avant qu'il ne passe de l'autre côté, alors qu'elle-même peinait à se ressaisir.

Je suis sous le choc. Est-ce à cause de la stupidité de ce défi, de la rapidité de son temps de réaction ou le fait qu'elle ait eu juste dès le premier essais ? Derrière son air doux de lapine maladroite se cache une alchimiste d'une puissance hallucinante. Je me dis que si l'envie lui prenait, elle n'aurait aucun mal à faire basculer le monde.

Valerian est rentré dans la garde des soldats en suivant les traces de sa mère et a été fait chef pour avoir été le plus vaillant, le plus résistant et le plus noble, mais surtout pour son aisance à apprendre et pour ses compétences plus que supérieures en maniement des armes.

Mirelty est dotée d'une mémoire à couper le souffle. Contrairement à d'autres Owlettes de son espèce, mutation des harpies, qui ne s'en préoccupent pas, elle a utilisé ce don pour lire tous les ouvrages disponibles à Diopelfe depuis sa tendre enfance, faisant d'elle la personne la plus cultivée de tout le royaume. Lorsqu'elle a postulé à la Grande bibliothèque, l'ancienne cheffe de garde a abdiqué après l'avoir prise sous son aile et lui avoir enseigné tout ce qu'elle savait.

Ezeckiel était la pupille de l'ancien chef de garde qui en a fait son apprenti en le sortant de l'orphelinat dans lequel il avait passé les premières années de sa vie. Je suppose qu'il a grandi aux côtés d'Elowyn qui a l'air d'avoir passé beaucoup de temps au château durant son enfance. Cependant, il n'y a pas plus d'informations, si ce n'est qu'il a pris la tête de la garde lorsque son maître est décédé. Mais s'il a, comme l'alchimiste, grandi entre les murs du palais, je suppose qu'il doit avoir un niveau impressionnant.

J'enchaine avec des rapports de mission coincés dans les pages que je décortique de fond en comble. Quelques passages évoquent la reine qui me précède, la reine Imelda. Je me surprends à ressentir un apaisement en lisant ce nom, comme s'il m'était familier alors que je n'ai jamais rencontré cette femme. Elle a l'air d'avoir été une reine droite et juste, mais aussi bonne avec le peuple. J'espère réussir à conserver ce qu'elle a bâti, peut-être même à l'améliorer si je le peux. Je ne cherche pas à être aimé par le peuple, mais je pense que si je suis autant appréciée que la reine a semblé l'être, alors mon règne sera doux et paisible si nous nous entendons bien.

Je griffonne quelques notes dans mon carnet, histoire de tout prendre en compte. Si on m'a répété que faire des erreurs n'était pas grave, notamment au début de mon règne, élire un sénéchal qui ne serait pas à la hauteur en serait une grosse et me suivrait tout le long de mon existence à Diopelfe.

Après avoir rassemblé mes affaires, je prends le chemin de la bibliothèque pour restituer ce que j'ai emprunté le matin même. Le cliquetis des armures des soldats de ma garde personnelle tinte comme des grelots. Pourquoi ne peuvent-ils pas me laisser seule quelques minutes ? Pourquoi je ne peux pas me déplacer librement dans ce qui est à la fois ma maison et mon lieu de travail ? Les couloirs sont-ils si incertains que ça ?