Chapitre 40

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S'il y a un chose qui est bien certaine, c'est que jamais je n'oublierai le cauchemar qui se dévoile à moi. Des soldats, partout, une bonne centaine si ce n'est plus, agglutinés comme des rats sous la tempête. Les quelques éclairs qui foudroient l'atmosphère illuminent la plaine du centre avec rythme, là où l'humanité a presque complètement disparue. Pourtant il ne pleut pas. Il n'y a pas de vent non plus. Mais il fait sombre, trop sombre pour rester intact durant plusieurs jours sans perdre la tête, quand ce ne sont pas les illusions de Mayela qui vous rendent fous.

Les plus gourmands rampent sur le sol à plat ventre, la bouche remplie de terre, sûrement coincés dans un rêve de sucreries et de bonne viande. D'anciens magiciens déchaînent leurs pouvoirs qu'ils commencent à retrouver à force de côtoyer la sorcière. D'autres dansent et rient aux éclats comme si tout cela n'avait aucun sens. Car cela n'a aucun sens. Mais parmi eux se trouvent un petit camp de récidivistes, là où les soldats ne sont pas débraillés, n'arrachent pas la pelouse et ne crient pas sans fin dans le vide. Là où ils sont conscients. Un pan de la tente a été arraché puis rafistolés par quelques morceaux de ficelle. Ezeckiel m'intime de rester près de lui et il se dirige automatiquement vers le petit feu où quelques braisent résistent encore timidement, mais dont la fumée se dirige sans hésitation vers les résistants avachis et défaitistes.

— Votre Majesté, s'exclament quelques-uns d'entre eux en se levant de surprise.

Je repère aussitôt Valerian, dont les tresses sont en partie défaites et dont la barbe n'est plus taillée à la perfection comme à son habitude. Il ne ressemble pas à l'homme que j'ai vu partir il y a quelques jours, encore moins au vaillant soldat, puissant et fier. Il lève les yeux vers moi, dans un mélange de détresse et de douleur, comme s'il était encore perdu entre deux mondes, tout juste sorti des illusions de la sorcière. Ezeckiel s'approche de lui et lui met une tape de soutien dans le dos avant de l'aider à se lever. Peu à peu, le chef de garde semble réaliser qui se tient devant lui. Ses yeux s'arrondissent, il se laisse tomber à terre en se prosternant à mes pieds.

— Votre Majesté ! Vous ne devriez pas être ici ! Ezeckiel, appelle-t-il pour chercher du soutien, afin de s'assurer qu'il ne s'agit pas encore d'une illusion.

Je ne m'attendais pas à les voir en si piteux état, encore moins Valerian. Bien entendu, je me doutais qu'il y aurait probablement des blessés, mais pas qu'ils seraient aussi affectés mentalement. J'ai l'impression que leurs cerveaux ont été réduit en bouillie. Je n'ose même pas imaginer la violence et les horreurs que les illusions de Mayela ont pu leur montrer.

— Comment allez-vous ? je demande, peut-être un peu bêtement, aux soldats avant même de me préoccuper de la sorcière.

Ils ronchonnent, marmonnent.

— Cela pourrait aller mieux, répond l'un d'entre eux. Nous sommes fatigués et plus assez nombreux pour nous battre. La seule chose que nous pouvons faire pour le moment, c'est attendre. Attendre qu'elle pousse à bout un autre d'entre nous pour qu'elle abandonne l'idée de jouer avec lui et qu'il nous rejoigne. Alors on s'occupe du camp et on essaye de nourrir et abreuver ceux qui sont encore dans leurs cauchemars pour qu'ils ne meurent pas d'épuisement. Mais les rations commencent à se tarirent.

Je regarde les quelques blessés allongés au fond de la tente, éclairés par la lueur faiblarde d'une torche, les autres qui s'enroulent autour du feu pour espérer recevoir un peu de sa chaleur, les tonneaux ouverts, parfois griffés jusqu'à ce qu'ils soient marqués par la trace des doigts. J'étais certaine que mes petites rations ne pourraient pas nourrir tout le monde, mais à présent je sais qu'elles pourront remotiver les troupes. Préparées lors de ma promenade sous la pluie, lors de mon repérage alors que je prévoyais de m'enfuir pour rejoindre les troupes, je sors des sacoches attachées à la selle de mon cheval quatre bouteilles de vin enroulées dans des torchons. Du rouge, loin d'être le meilleur mais qui, après l'avoir compris par expérience, donne chaud, et du vert, bien plus agréable sur la langue. Je sors aussi un énorme fromage et un couteau, deux pains ramollis par l'humidité et une bourse remplie de viande séchée. Les soldats s'émerveillent devant cette nourriture bien rustique mais qui soulage les cœurs. Je prends soin de diviser les provisions le plus équitablement possible tout en conservant une part pour plus tard. Le vin coule à flot dans les gobelets de métal et peu à peu, quelques sourires réapparaissent sur les visages pâles et fatigués. Ils m'invitent à prendre place sur un siège de fortune et nous échangeons quelques commodités puis des informations à propos de la sorcière et du terrain.

Le secret des reines de DiopelfeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant