La nuit est tombée depuis quelques heures déjà. Je me recueille dans la grande salle aux bourgeons, dissimulée dans mes appartements, tout juste à la sortie de la salle des dioptases où je suis apparue il y a quelques mois à présent. J'ai tourné autour des bassins, je suis passée dans la brume derrière les cascades d'eau, j'ai longé les deux grandes allées en passant tout près de la porte dissimulée dans le mur, puis je me suis installée sur le kiosque en plein centre. Je contemple les couples d'oiseaux endormis cachés dans la végétation grimpant sur les colonnes de marbre et sur les poutres. Je les envie. Ils passent leur temps à se nourrir de nectar, se baigner dans les bassins, veiller sur les bourgeons, voler et faire des pirouettes, sans jamais se douter que le monde est bien plus grand que ce qu'ils le pensent, plein de dangers et d'horreurs. Ils vivent joyeusement dans leur petit monde à l'abri des regards, à profiter de ce qu'ils ont et à le chérir.
Comme à chaque fois que je viens ici, pour me morfondre ou chercher un peu de réconfort, je finis pas atterrir sur l'un des bancs du kiosque, à moitié recouvert des fleurs grimpantes qui ont décidées de l'envahir, à regarder les bourgeons flotter, mon regard finissant toujours sa course sur mon préféré. Je me sens un peu perdue. Quand Valerian et son bataillon sont partis il y a de ça une nuit, son faucon messager était perché sur son épaule avec une lettre que nous avons rédigé ensemble afin qu'il l'envoie dès qu'ils arrivent pour que nous sachions au moins cela. Mais nous n'avons toujours aucun signe de son oiseau et même si je n'ai presque jamais quitté le palais, qu'une seule fois en vérité, je sais qu'il ne faut pas autant de temps pour rejoindre les plaines du milieu, même par temps de tempête. Je ne suis pas totalement sûre d'être prête physiquement, mais je le suis au moins mentalement. Il paraît que la nuit porte conseil, alors je suis venue me réfugier ici, sous le grand dôme de verre enchanté, pour tenter de prendre ma décision, mais les nuages noirs dans le ciel dissimulent les étoiles. Je sais que peu importe mon choix, il ne plaira pas à la majorité. Dois-je quitter le palais maintenant, en plein milieu de la nuit, pour rejoindre Mayela avec un minimum d'effet de surprise et sans l'annoncer à personne ? Ou dois-je attendre le grand jour avec un bataillon et des soldats prêts à me protéger ? Je pense attendre encore quelques heures, que l'aube fasse son apparition pour ne pas chevaucher dans l'obscurité totale, mais je devrais être rapide si je ne veux pas me faire surprendre par qui que ce soit. J'ai déjà fait du repérage dans les écuries pour savoir quelle monture prendre et où se range son équipement, prétextant vouloir faire une ballade à cheval sous la pluie dans les jardins pour me défouler. J'ai réussi à récupérer la clef de la salle des soldats pour avoir accès à l'armurerie et je sais où se trouve celle qui m'ouvrira la porte qui me sépare de mon armure, cachée dans un faux fond d'un tiroir du bureau de Valerian. Puis j'ai rédigé une note pour Dashalric, pour qu'il ne s'affole pas trop. Je le laisserai gérer la suite, je sais qu'il s'en sortira même s'il n'est pas au courant de mon plan. Je me fais le serment que demain, à la fin de la journée, Mayela ne sera plus un problème.
Soudain, alors que je m'installe confortablement sur le banc où j'étais agenouillée pour regarder les bourgeons, l'immense porte s'ouvre. J'attrape le bougeoir que j'ai déposé à mes côtés sur le banc et le lève en même temps que je me mets debout pour voir le visage de la personne qui vient d'entrer. S'il s'agissait de Dashalric, je verrais les étoiles dispersées sur son corps briller dans le noir. Quelques lucioles s'envolent et virevoltent dans les airs, formant un halo de lumière autour de la personne qui referme la porte derrière elle.
Je me fige. Ça ne peut pas être réel.
Les lucioles s'éparpillent dans les airs me laissant faire face à une silhouette dans la pénombre dont je reconnais les traits sans une once d'hésitation. Je parviens à avancer de quelques pas et m'arrête à la limite des marches du kiosque lorsque je vois que la personne à l'autre bout de la pièce s'avance le long de l'allée, puis pose un genou à terre à mi-chemin.
VOUS LISEZ
Le secret des reines de Diopelfe
FantasíaAurore n'a pour souvenir que son nom lorsqu'elle se réveille dans le royaume de Diopelfe où on la couronne reine. Alors que le peuple réclame le retour de la magie, presque complètement disparue depuis la crise magique, le mystère des reines plane...