Le secret des reines de Diopelfe

Chapitre 23

Les faeries sont tous entrés dans la salle de bal du palais. La soupe encore chaude est servie par les cuisiniers sur une longue table amenée spécialement pour l'occasion et les corbeilles de pain passent de main en main. Les fées de maison s'attellent à apporter des serviettes et des couvertures au peuple qui s'installe là où il y a de la place, par terre et le long des murs. Quelques autres sont en train de préparer des chambres, jusque-là inoccupées, et dont jamais personne n'y a mis les pieds depuis un moment.

Mirelty est dépassée par toute la foule soudaine qui s'est agglutinée dans le palais. J'ai bien l'impression qu'elle peine à comprendre ma décision. Mais elle ne rechigne pas et aide les cuisiniers à servir la soupe et le vin.

Valerian évite de justesse d'un mouvement de hanche deux enfants cornus qui courent nus, débarrassés de leurs vêtements détrempés, et donne des serviettes et une grande couverture à leurs parents. Lorsqu'il finit de distribuer sa pile de linge, il reste appuyé le long d'un mur, les bras croisés sur la poitrine, et examine du regard le peuple avant de repartir dans la salle des soldats pour poursuivre les recherches lorsqu'il juge qu'il n'y a rien à signaler.

Le sénéchal revient dans la salle de bal en compagnie d'Elowyn qui, par ses yeux plissés, ses oreilles penchées vers l'avant et son veston mal boutonné, me laisse penser qu'elle est réveillée depuis peu.

— Ça fait vraiment beaucoup de monde... dit-elle de sa voix fatiguée.

— Vous pouviez continuer de vous reposer, je lui réponds doucement. La situation est sous contrôle.

— Je voulais m'assurer moi-même de l'état de santé des gens... Les médecins travaillent dur, vous savez. Ils ont besoin de repos.

— Vous aussi, vous faites beaucoup pour la couronne.

— J'ai bien peur que vos mots ne suffisent pas à la faire retourner dans sa chambre, votre Majesté. Elle est bien trop têtue pour ça.

Un sourire se dessine sur le visage cerné de la femme-lapin qui donne mollement un coup de poing dans le bras du sénéchal. Elle frotte son visage avec ses mains puis tire ses joues vers le bas avant de se donner deux petites claques.

— Aller, au boulot ! tente-t-elle de se motiver.

Elle quitte le dais pour rejoindre Fangir et les fées de maison au cœur des faeries.

Je suis soulagée d'entendre quelques rires, de voir des sourires et des enfants jouer. Je craignais que la foule ne s'énerve une fois dans le palais, mais ils ont l'air d'aller bien mieux, d'être plus apaisés. Je ne sais pas exactement si c'était cela qu'ils attendaient de moi, mais j'ai l'impression que ma réponse leur convient, du moins pour le moment.

Je m'assois sur le trône. Un homme, trainant avec lui les bagages de ce qu'il reste de sa maison, sort un violon d'un sac et commence à jouer. Une douce mélodie s'échappe dans l'air et les faeries se retournent vers lui. Quelques-uns se mettent à taper sur des bols vides ou des malles pleines de vêtements, d'autres chantonnent des paroles qu'ils semblent tous connaitre. Leurs yeux sont fatigués, parfois marqués par des larmes qui ont beaucoup coulées, et leurs traits sont tirés, mais malgré la situation et l'heure tardive, ils se prêtent tous au jeu. Les faeries adorent danser et s'exprimer par la musique. J'ai presque l'impression de retrouver l'ambiance du couronnement.

Je pourrais rejoindre mes appartements ou la bibliothèque pour faire ce que j'avais prévu de ma soirée. Je le pourrais, en effet. Même si ma journée a sans doute été bien moins rude que la leur, je ressens ce besoin de me défouler et de profiter de l'instant. Je me lève du trône pour me placer face au sénéchal qui se tient debout et droit à mes côtés. Mirelty me tuerait si elle me voyait en train de faire une petite révérence devant lui. Heureusement pour moi, elle est occupée à discuter avec les cuisiniers.