Chapitre 45

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Un monde libre... Tout cela paraît si fou et si simple à la fois. Je me croyais libre en vivant à Diopelfe, mais je me rends compte que nous vivons tous dans le mensonge, cachés aux yeux du monde, dans l'ignorance la plus totale. Nous ne sommes pas libres, nous ne l'avons jamais été. Pas depuis que nous avons été chassés de nos terres natales. Diopelfe n'est qu'un camp de prisonniers que l'on garde car ils permettent de continuer à creuser dans les mines à charbon. Voilà la seule chose que nous sommes.

J'ai continué de discuter avec Mayela, mais elle refuse de poursuivre sans avoir un toit sur la tête et moi, je tiens absolument à rencontrer les autres reines, comme elle me promet être capable de le faire. Je n'ai aucun doute dessus, je commence à comprendre jusqu'où s'étend sa puissance et son emprise. Si mon statut de gardienne de la vie ne me bloquait pas sur le trône, je n'ai nul doute à penser qu'elle serait bien mieux à ma place. Ce sont ce genre de pensées qui me hantent tandis que nous traversons le terrain en ruine, entre les soldats enracinés que je n'ose même plus regarder. Je me contente de fixer le sol et de suivre du regard la pointe de mes bottes me guider. Ils seront relâchés aussitôt que nous aurons franchi la barrière magique d'éléments.

— Ma Reine... appelle Ezeckiel. S'il vous plaît, écoutez-moi.

Je fais tout mon possible pour continuer à marcher devant en l'ignorant. Le son de sa voix me torture. Je suis à la fois tellement déçue et en colère. J'aimerais le prendre dans mes bras et l'embrasser, qu'il me console en caressant mes cheveux et en me disant que rien de tout cela n'est vrai, que Mayela est juste folle, qu'il n'y a rien d'autre que nous par-delà l'océan, que les dioptases m'ont façonnés selon leur volonté et que je ne suis qu'un mélange de pur hasard pour gouverner ce reinaume qui a besoin d'une souveraine. J'aimerais qu'il me dise qu'il m'aime et que ce n'est qu'un mauvais rêve, que demain sera une meilleure journée, banale et ensoleillée.

— Aurore, supplie-t-il. Regardez-moi.

Entendre mon prénom me plonge dans une colère froide comme je n'en ai jamais ressenti. Je dégaine mon épée et me retourne vivement vers lui. La pointe de la lame indique la cicatrice au creux de son cou, entre sa pomme d'Adam et ses clavicules, là où j'avais l'habitude de voir le grenat de son collier. Je ne cille pas, je sais parfaitement comment la manier et je remarque aussitôt le regard décontenancé du sénéchal qui doit se demander d'où me vient cette habileté avec une armure et cette confiance soudaine.

— Qui êtes-vous pour m'appeler ainsi ? lancé-je d'un ton glacial. Si vous osez encore une fois m'appeler par mon prénom, je vous coupe la tête. Est-ce bien clair ?

— Oui, votre Majesté, souffle-t-il en baissant la tête.

Je retire ma lame et la range dans son fourreau. Mayela n'a même pas sourcillé. Elle continue son chemin en direction du camp où se trouvent nos chevaux et ceux des soldats. Elle les regarde de loin, puis s'approche et les tâte, vérifie leur équipement, les ressangle au besoin. Puis elle fait pousser une herbe bien plus verte que celle complètement piétinée qu'ils mangent depuis plusieurs jours. Les animaux se ruent dessus et les coulées d'eau ou de lave qui descendent de leurs croupes et de leurs encolures s'amplifient, les ronces de leur pelage se renforcent, les nuages d'orage autour de leurs sabots noircissent. La sorcière jette son dévolu sur une jument bai dont les crins et les balzanes sont parsemés de fleurs roses. Elle colle son front au sien et la caresse gentiment derrière les oreilles avant de vérifier ses membres pour s'assurer qu'elle n'a aucune blessure. Jamais je ne l'aurais pensé capable d'une telle douceur.

Nous montons à cheval et Mayela nous ouvre le passage grâce à sa magie. Elle avance en tête afin que nous puissions la surveiller. De toutes façons, elle connaît le chemin, elle a grandi ici, contrairement à moi.

Le secret des reines de DiopelfeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant