Chapitre 47

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— J'exige la vérité pour le peuple. Qu'on le libère aux yeux du monde, qu'il ne reste pas dans l'ignorance.

— C'est impossible. Les hommes sont bien trop cruels pour qu'on donne envie au peuple de se rendre sur leurs terres. Il va se faire massacrer jusqu'à ce que tous disparaissent une bonne fois pour toutes, rétorque aussitôt Marie-Louise le plus calmement possible.

— Les temps changent ! Cela fait des siècles que nous sommes enfermés ici, même les faeries de la cité marine ignorent ce qu'il se trouve derrière la barrière de corail et ils n'en sont même pas curieux à cause de vos envoûtements ! Je m'y suis rendue, moi, au royaume d'Estria. Le peuple au-delà de l'océan ne nous craint plus car il ignore même que nous avons un jour existé. Au contraire, il nous admire, nous vénère ! On raconte nos histoires aux enfants, celles des orcs pour les empêcher de quitter leur lit la nuit, celles des fées pour les inciter à remercier lorsqu'ils reçoivent un présent, celles des licornes pour les faire rêver ! Nous ne sommes que pure invention dans leurs esprits, nous sommes imaginés, rêvés et fantasmés. Pas un enfant là-bas ne rêve pas de rencontrer une sirène ou un faune !

— Les choses que tu dis sont-elles vraies ? Ou nous joues-tu un mauvais tour pour obtenir ce que tu souhaites ?

— Les mentalités changent, Marie-Louise. Il est temps pour nous de changer aussi.

Il y a bien des années que la première reine de Diopelfe n'a pas été appelée par son prénom, encore moins par l'un de ses sujets. Ses sourcils broussailleux sont froncés et des rides au sommet de son nez se forment. Ce n'est que maintenant que je remarque les plis dessinés par sa peau aux coins de ses yeux, de ses lèvres, dans son cou, ses cheveux grisonnants devenus rêches avec l'âge, alors que je l'ai connu avec une chevelure comme l'écorce des pins. La seule d'entre nous à avoir pu vivre, à avoir pu vieillir.

— Pourquoi ne pas avoir demandé une audience à ta reine pour échanger avec elle ? demande finalement la doyenne.

— Oh je l'ai fait, mais elle ne m'a pas écouté, crache Mayela en foudroyant du regard Imelda. Ce n'est pas faute d'avoir essayé ! Combien de fois, rappelez-moi, me suis-je rendue dans votre bureau pour vous expliquer votre histoire, pour tenter de vous faire entendre raison ? Vous m'avez fait attendre encore et encore pour finir par me traiter de folle devant tout le palais !

— J'ai voulu préserver le peuple ! Il ne fallait surtout pas que cela s'ébruite, rétorque Imelda en se relevant, tout en gardant un bras autour de ma taille.

Un sourire déchire le visage de la sorcière. Ses sourcils se distordent. De la haine, de la pitié, de la frustration, de l'impatience. Un mélange d'émotions indescriptible qui crispe les muscles de ses joues, de son front. C'est une discussion de sourds, elle comprend bien, et si elle continue de monter en pression, elle va finir par exploser. Pourtant, son corps tendu en témoigne, elle lutte.

— Le préserver de quoi ? Vous connaissiez la vérité et vous n'avez rien fait ! Vous m'avez répété jour après jour à quel point j'étais puissante, à quel point je devais être fière de servir le royaume, de mon parcours, de mon statut. Et chaque jour encore vous me répétiez comme vous étiez fière de moi et à quel point j'étais une femme puissante. Quatre ans. J'ai attendu quatre ans, ligotée comme une malfrat dans un cachot humide et puant, un voile sur le visage, incapable de bouger, de manger par moi-même ou même de pisser seule ! Quatre ans seule, plongée dans l'obscurité, à me faire cracher dessus par des gardes et avec pour seule compagnie un bâtard de la couronne pour vérifier mes chaînes une fois toutes les pleines Lunes ! Est-ce que ça en valait vraiment la peine ? Est-ce que je vous faisais vraiment si peur ? Qu'est-ce qui a fait que tout le peuple a été puni quand j'ai tenté de lui montrer bien plus, de leur dévoiler que le monde est bien plus grand ? Bordel de merde, Imelda, je reconnais avoir fait des conneries, mais pourquoi vous avez pensé que je méritais ça ? De quoi avez-vous si peur ?!

Le secret des reines de DiopelfeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant