Chapitre 1, dans lequel Arnaud Riopel part à la recherche d'un bunker

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― Pensez-vous qu'ils vont nous tirer dessus?

Installée dans le siège passager avant, la cliente d'Arnaud Riopel n'en menait pas large. À une vingtaine de mètres devant eux, cinq gars armés de fusils d'assaut venaient de leur barrer la route et pointaient leurs armes dans leur direction. Et Arnaud devait bien avouer que les cagoules noires remontées sur leurs visages et les regards agressifs qu'ils lançaient dans leur direction n'avaient rien de rassurant. Malgré tout, il sourit à sa passagère.

― S'ils sont le moindrement intelligent, ils ne tireront pas.

Cela eut l'air de la calmer. Un peu, mais pas tant que ça. Il fallait vraiment qu'elle croie en sa bonne étoile pour avoir le goût de parier sa vie sur les facultés intellectuelles de cette bande d'abrutis. Pourtant, dans le genre « pilleuse de maison », Caitlin Lawless semblait capable d'affronter les pires dangers. Cette grande fille à la carrure impressionnante, à la tête surmontée d'une tignasse rousse encadrant un visage aux traits énergiques, dégageait une impression de force, impression encore accentuée par les deux pistolets de fort calibre qui pendaient à sa ceinture.

De toute façon, elle n'avait aucune raison de s'inquiéter, puisqu'ils étaient à l'abri dans la voiture. Ils venaient de quitter Québec, direction nord, dans une ancienne Tesla Special Forces, millésimée 2060. Ces modèles étaient autrefois fabriqués spécialement pour les forces policières et possédaient, entre autres caractéristiques, celle de pouvoir résister à un tir de fusil à bout portant. Ce qui, dans leur situation, présentait un avantage indéniable.

La firme de sécurité qui employait Arnaud, Sécurpol, avait dû la dénicher, après la guerre, dans un garage abandonné de la police de Québec. La voiture répondait à toutes les exigences d'une entreprise qui prétendait fournir des gardes du corps à ses clients « au meilleur prix en ville ». Ses nouveaux propriétaires l'avaient fait repeindre aux couleurs de la compagnie et elle arborait dorénavant le slogan « Chez Sécurpol, votre sécurité, c'est notre affaire! ». Mais Arnaud lui-même n'aurait jamais parié là-dessus!

En 2121, tout le monde vivait en Haute-Ville. La Basse-Ville, qu'Arnaud et sa cliente traversaient maintenant, n'était plus qu'un vaste bidonville insalubre où, à cause des inondations périodiques, la vie quotidienne se révélait intenable. Seule une poignée d'asociaux et de délinquants y survivaient, dans des logements pourris. Et justement, ils venaient de croiser une meute de ces marginaux, un gang de tarés qui avaient guetté leur arrivée, embusqués entre deux immeubles en ruine.

L'un d'entre eux, surtout, s'était placée devant la voiture pour leur barrer le chemin. Ce n'était pas la première fois qu'Arnaud se trouvait dans cette situation et il se demanda ce qui pouvait bien se passer dans la tête du reliquat d'humanité qu'il avait devant lui. Quel crime espérait-il commettre aujourd'hui? Un kidnapping? Un cambriolage? Ou juste exploser la tronche à de pauvres inconnus?

Le gars fit mine de tirer sur eux, mais un grand musclé qui semblait commander la bande s'approcha de lui et une vive discussion s'engagea entre les deux. Le chef essayait apparemment de faire comprendre à son comparse que ça ne valait pas la peine de gâcher leurs précieuses munitions contre le véhicule que conduisait Arnaud, sur lequel les balles ricocheraient en ne causant que des dommages dérisoires. Au bout d'un moment, la mine basse, la meute retourna sur le trottoir et céda le passage.

Arnaud redémarra à vitesse réduite et, parvenu à leur hauteur, leur adressa un clin d'œil, accompagné d'un sourire et du majeur de sa main gauche dressé avec désinvolture vers le ciel, s'attirant des regards hargneux de la troupe de cadavres en sursis. Les laissant derrière eux, ils allèrent rejoindre l'autoroute Laurentienne, celle qui montait vers le nord, vers le pays des Surves. Pour Arnaud, cette petite balade à la campagne devait être bâclée assez rondement, un simple aller-retour, en somme. Il avançait avec prudence, à la vitesse de quarante kilomètres à l'heure.

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