Chapitre 48, dans lequel Joseph est amené au Château Frontenac pour son procès

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Maître Moon Cheung, son avocate, devait venir chercher Joseph pour son audience. Ils s'étaient parlé un peu la veille, mais il s'était contenté de lui répéter ce qu'elle savait déjà. Elle avait insisté sur le fait qu'il ne devait rien lui cacher. Il avait donc précisé qu'il n'était pas allé en promenade, cette nuit-là, mais plutôt chez Gabrielle Trépanier. Quand il avait ajouté plus de détails sur les raisons de cette rencontre, elle n'avait pas eu l'air vraiment contente d'entendre sa confession.

― Peux-tu fournir une preuve que tu étais bien chez elle à cette heure-là?

― Je ne peux pas le prouver, non.

― Et est-ce que tu penses que cette Gabrielle Trépanier va confirmer que tu étais avec elle?

― Sûrement pas! Elle n'est tout de même pas folle...

Elle n'avait pas eu l'air d'apprécier sa franchise tant que ça, finalement. Mais que pouvait-il y faire? Elle avait semblé peser le pour et le contre, se livrant à un complexe calcul de probabilités sur ses chances d'être cru ou pas. Au bout de quelques secondes, elle avait pris une décision.

― Alors on ne va pas en parler! On s'en tiendra à l'histoire de la promenade. Personne n'a besoin de savoir quelle était ta destination, ni si tu l'as atteint ou pas. Mais si la juge te demande plus de détails, tu devras lui répondre et dire la vérité. Espérons que sa curiosité n'ira pas jusque-là! Donc, tu feras ta déposition. Ça ne devrait pas être long. Quand tu auras terminé, j'exigerai qu'on te relâche en raison de la faiblesse de l'accusation. Rien ne te relie à ce crime. Je ne vois vraiment pas pourquoi elle s'y opposerait.

― Et c'est tout? Et après? Est-ce que vais devoir retourner chez mes parents?

― Ça, c'est la Juge qui en décidera.

Elle était repartie en lui assurant qu'elle reviendrait le lendemain pour l'accompagner au tribunal. Il avait très mal dormi et avait été incapable de manger quoi que ce soit depuis le matin. Il n'avait aucune idée de ce qui allait lui tomber dessus, et il aurait donné n'importe quoi pour retourner en arrière, pouvoir revivre ce soir-là. Ne pas se rendre chez Gabrielle. Ne pas abandonner Maëlle aux mains de ces soldats.

Il avait remis l'habit que son père lui avait apporté. Il venait tout juste d'endosser sa veste quand il entendit des pas. Il fallait partir maintenant. Alors qu'il passait devant le garde qui avait surveillé sa cellule depuis son arrivée, ce dernier lui jeta un regard dont la signification était limpide. « Ne t'avise jamais de recroiser mon chemin! » Était-ce ce qui l'attendait pour le reste de sa vie? Qu'on le pointe du doigt comme le paria qui avait osé dénoncer un meurtre?

L'audience allait être tenue au Château Frontenac, le vieil hôtel devenu palais épiscopal de l'évêque de Québec, résidence officielle du président du Conseil, et salles du tribunal tout à la fois. Alors qu'il déambulait dans le grand hall de l'ancien palace, on lui jeta des regards parfois curieux, souvent méprisants, jamais bienveillants. Certains baissaient les yeux, d'autres lui tournaient carrément le dos aussitôt qu'ils le voyaient apparaître. Maître Cheung lui souffla « Garde la tête haute, le dos droit, regarde devant toi! » À une époque pas si lointaine, il avait croisé beaucoup de ces personnes alors que la situation était bien différente. Dans ces moments-là, c'était même souvent lui qui les regardait de haut.

Ils bifurquèrent vers une porte entrebâillée qui donnait sur une salle de moyenne grandeur qui se trouvait déjà pleine de monde. Son Honneur Clarisse Bérubé trônait devant un parterre composé des soldats présents la nuit du meurtre et de leurs conjointes, dont Gabrielle Trépanier qui détourna le regard dès qu'elle le vit. Son oncle Mathias, Nan, ses parents, un journaliste de Radio-Espérance et quelques notables constituaient le reste de l'assistance.

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