Chapitre 34, où Arnaud doit jouer de diplomatie avec le père Mathias

7 0 0
                                    

Arnaud Riopel était convaincu d'avoir tout fait foirer. Comment aurait-il pu imaginer que sa visite au colonel Traversy tournerait ainsi à la catastrophe. En y repensant bien, il était tout de même capable de voir où et comment il avait merdé. L'homme venait de perdre son fils, peut-être aux mains de ravisseurs et en plus, ses deux domestiques avaient disparu. Sa femme, qu'Arnaud n'avait même pas réussi à entrevoir, devait être dans le plus total désarroi. Il aurait dû ménager le colonel, le traiter avec plus de respect. Pas le regarder de haut ou le considérer comme un vulgaire suspect.

Une fois que son patron aurait pris connaissance de son échec, il allait l'écorcher vif. Il était censé lui rapporter un contrat, pas mettre Sécurpol sur une liste noire. Le chômage l'attendait, c'était certain. Et le pire était qu'il n'avait personne d'autre que lui-même à blâmer pour ce ratage monumental.

Il entra dans un café pour téléphoner à sa mère. Elle non plus ne serait pas contente. Il avait, sans le vouloir, créé tout un froid entre elle et son amie Louise. Il cessa de s'apitoyer sur son sort car il restait une dernière chose qu'il pouvait encore tenter.

― Maman? C'est Arnaud. Je n'ai pas beaucoup de temps pour te parler, mais est-ce que tu connais quelqu'un à l'Évêché?

― Tu veux confesser tes péchés?

― Quelqu'un qui posséderait assez de pouvoir pour organiser rapidement le transport d'un corps et qui pourrait célébrer une messe?

― Transporter un corps? Qu'est-ce que t'as encore fait?

Arnaud éluda la question. Jugeant qu'il serait inutile de révéler à sa mère les détails de l'affaire, il lui résuma les grandes lignes de son problème. Elle lui communiqua, au final, les coordonnées du père Mathias, un proche conseiller de Sa Seigneuresse Paloma Estevez et qui se trouvait à être aussi le frère de Louise Quintal.

Ce dernier détail le tracassait un peu, mais il la remercia et ajouta « Ah oui! J'arrive d'une visite chez le colonel Traversy. Tout le monde là-bas est très affecté par ce qui est arrivé. Il vaudrait probablement mieux que tu t'abstiennes de les contacter pendant quelque temps. Histoire de respecter leur intimité. D'accord? Je t'aime. »

Il essaya sans attendre de rejoindre le père Mathias, en priant pour qu'il ne fût pas encore au courant de ses démêlés avec le colonel. Un court entretien avec son assistant le rassura, il pouvait le recevoir. Si Arnaud pouvait au moins rendre service au directeur de la morgue en le débarrassant de la dépouille de Maëlle, sa journée ne serait pas entièrement gâchée.

Le père Mathias travaillait dans l'ancien bureau de poste près de la porte Prescott. Il abritait maintenant, d'après sa mère, le centre administratif de la Congrégation de Québec pour la Doctrine de la Foi.

Arnaud pénétra dans une vaste pièce très éclairée où se tenait un ecclésiastique d'un certain âge qui le regarda avec sévérité. Il se présenta et lui dit qu'il avait rendez-vous avec le père Mathias. « Attendez-moi ici, » s'entendit-il répondre. Le secrétaire revint bientôt et l'invita à le suivre dans un dédale de couloirs. Il lui montra une porte, puis disparut.

Arnaud se trouvait dans un bureau vaste, d'où l'on pouvait observer le spectacle constamment renouvelé du Saint-Laurent dont les eaux vertes, fendues en deux par la pointe de l'île d'Orléans, poursuivaient leur course vers le golfe. Derrière sa table de travail encombrée, un prêtre le dévisageait.

 Derrière sa table de travail encombrée, un prêtre le dévisageait

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

― Père Mathias? Je suis Arnaud Riopel...

Il se dirigea vers un des deux sièges devant le bureau, mais l'autre lui lança « Ne vous donnez pas la peine de vous asseoir, vous ne resterez pas longtemps. » Arnaud constata que sa réputation l'avait précédé. Le colonel Traversy avait sûrement appelé son beau-frère dès son départ afin de le mettre en garde contre lui. Arnaud décida de faire malgré tout une tentative pour sauver ce qui restait à sauver.

― Père Mathias, je ne viens pas pour plaider ma cause, mais vous proposer de poser un geste qui serait, je crois, bénéfique tant pour votre Église que pour un commerçant de Québec qui rencontre en ce moment des difficultés dont il n'est nullement responsable.

Le père Mathias ne dit rien, ce fut à peine s'il le regarda. Arnaud lui expliqua, en essayant de faire au plus court, l'histoire de Maëlle et du culte qui prenait forme autour d'elle. Il lui signala que de nombreux locaux étaient disponibles dans le secteur de la morgue et qu'en aménager un en chapelle ardente ne poserait pas de grand problème.

Il termina en suggérant que l'Église Catholique de Québec tirerait un bénéfice certain à devenir le maître d'œuvre de ce lieu de pèlerinage. Il lui précisa que beaucoup de gens s'y rendaient déjà pour prier devant la dépouille de Maëlle et que ces fidèles, bien que vivant parmi les Barbares, seraient profondément reconnaissants si une organisation compétente comme la sienne pouvait les accueillir. Il en beurrait tellement épais dans l'espoir de lui laisser entrevoir l'avantage de son plan qu'il se surprit à y croire lui-même. Le père Mathias, lui restait stoïque.

― Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse? dit-il, anéantissant ses espoirs.

Il tenta une dernière approche.

― Père Mathias, cette jeune fille était, il n'y a pas si longtemps, l'une des vôtres. L'intérêt pour elle finira par s'estomper et alors, son autopsie aura probablement lieu. Voulez-vous voir le corps d'une sainte profané ainsi?

Arnaud savait que rien ne prouvait que Maëlle fût une sainte. Ni qu'Eduardo Rodriguez ait une quelconque envie d'autopsier sa dépouille. Toute son argumentation reposait sur des bases des plus fragiles, il était le premier à l'admettre, mais elle eut au moins le mérite d'éveiller la curiosité de l'austère ecclésiastique.

― Une autopsie, vous dîtes? Vous pensez qu'ils feraient ça?

― J'ai parlé au médecin qui dirige la morgue et franchement, il n'a pas l'air de croire beaucoup aux manifestations divines. J'imagine que s'il en avait l'occasion, il n'hésiterait pas un instant à charcuter ce cadavre...

Le père avait laissé son fauteuil pivoter et il faisait maintenant face à la fenêtre. Au bout d'un moment, il se retourna vers lui.

― Eh bien, cela vaut peut-être la peine de reconsidérer toute cette question. Je ne peux évidemment rien vous promettre. En attendant, Monsieur Riopel, j'ai un conseil pour vous.

― Oui?

― Si vous voyez Joseph, ramenez-le-nous. Sa famille est très inquiète.

Il lui fit comprendre par un geste que leur conversation venait de se terminer. Arnaud se retourna pour quitter son bureau et tomba nez à nez avec le secrétaire qui le suivit pas à pas jusqu'à la sortie, comme s'il tenait à s'assurer qu'il avait bel et bien vidé les lieux.


La République des MiraclesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant