― Tu sais, dit Nan, ton grand-père n'a pas été dupe. Il n'a pas seulement deviné qui j'étais, mais aussi pourquoi j'étais là.
Arnaud roulait sur le chemin Saint-Louis, en compagnie de Caitlin et de Nan. Il les ramenait vers la boutique de Caitlin, qui était encore la propriétaire de Nan pour quelques heures, tout en essayant d'éviter les nombreux nids-de-poule qui parsemaient les routes dans ce coin de la ville. Il avait hâte de retomber sur une artère un peu plus achalandée, un peu mieux entretenue surtout.
― Je me doutais bien qu'il découvrirait le pot aux roses. Alors, ton verdict?
― Je n'ai détecté aucun cancer, parmi ceux que je peux identifier. J'ai noté qu'il avait le blanc des yeux plutôt jaune. Est-il possible qu'il fasse une jaunisse?
― Il a toujours eu les yeux plus ou moins jaunes. Il m'a déjà dit qu'il souffrait d'une maladie sans gravité, je ne me rappelle plus trop son nom...
― Le syndrome de Gilbert?
― Ouais, je pense que c'est quelque chose dans ce genre-là.
― C'est assez anodin et relativement commun, en effet. Et comme c'est bénin, il n'y a pas de traitement recommandé non plus. Autrement, il m'a semblé en bonne forme pour un homme de quatre-vingt-deux ans, et d'un esprit alerte, aucun signe de démence, il peut continuer comme ça longtemps.
― Je le trouve fatigué, ces derniers temps...
― Tu le seras aussi quand tu auras son âge. Mange-t-il bien? souffre-t-il d'incontinence? Tu m'avais demandé de ne pas l'embêter en lui posant trop de questions. Mais je suis comme n'importe quel médecin, je ne peux pas deviner ce qu'on ne me dit pas. Enfin, pas tout le temps...
Arnaud avait offert à son grand-père de venir habiter chez lui, histoire de l'avoir à l'œil. Il aurait aimé pouvoir mieux s'occuper de lui, mais le vieil homme tenait trop à sa « vue sur le fleuve » pour avoir envie de s'installer dans son petit quatre et demi et Arnaud ne pouvait pas, de son côté, aller vivre à des kilomètres de son lieu de travail. Il avait l'impression d'abandonner Olivier à son sort. Il devait se contenter de le visiter de temps en temps et de lui apporter de quoi manger. Caitlin, qui était restée silencieuse depuis leur départ, se racla la gorge et lui demanda « Je peux te poser une question indiscrète? »
― Vas-y! Au pire, je ne te répondrai pas...
― Ton grand-père est-il arrivé ici avec la vague de réfugiés climatiques du milieu du 21e siècle?
― Non, il était orphelin en Haïti et une famille québécoise l'a adopté alors qu'il était encore bébé. Ça devait être vers 2041 ou 2042. Pourquoi?
― Pour rien. Ma grand-mère à moi était une Américaine de la région de Miami. Quand l'océan s'est mis à atteindre des niveaux inquiétants et a commencé à gruger un peu trop les côtes de la Floride, elle a choisi de migrer vers le nord. Elle a fini par aboutir à Toronto, où elle a fait la connaissance de mon grand-père. Ils se sont établis à Montréal d'abord, mais plus tard ils sont venus s'installer ici, à Québec, où grand-maman s'était déniché un boulot.
― Et c'était quoi, son travail? demanda Nan.
― Elle était la secrétaire d'une députée à l'Assemblée nationale.
― Ah, oui! Le grand bâtiment en ruine près des fortifications, dit Arnaud.
― Vous au moins, vos origines ne sont pas un mystère. Moi, je sais seulement que j'ai été assemblée dans un atelier de Bangalore, dans le sud de l'Inde. Et ça se limite à ça.
Les paroles de Nan rappelèrent à Arnaud que sous son apparence humaine qui frisait la perfection se cachait une structure métallique qui n'avait aucun rapport avec l'humanité. « Est-ce que tu aimerais en connaître davantage sur tes origines? » demanda Caitlin. Nan sembla réfléchir à la question, peser le pour et le contre.
― Non, c'est bien, je sais ce que j'ai à savoir.
*** Toutes les illustrations qui accompagnent ce roman ont été réalisées grâce à l'Intelligence Artificielle sur le site NightCafe Studio.
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La République des Miracles
Science Fiction2070 : Une guerre nucléaire ravage la planète. 2121 : Dans la région de Québec, des survivants essaient de rebâtir une société à partir des ruines de l'ancienne. Mais les choses ne sont pas si simples... D'un côté, des catholiques traditionalistes...