Chapitre 43, où Tiffany, une travailleuse de la nuit, flaire une arnaque

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Tiffany avait le nez fin! Au propre comme au figuré, d'ailleurs. Tout le monde le lui disait. Et c'était vrai. Elle pouvait sentir la soupe chaude, sentir le regard de quelqu'un sur elle, sentir le désir d'un homme qui la suivait dans la rue. Sentir le danger, surtout. Toutes choses qui lui étaient des plus utiles dans la pratique de son métier. Mais aussi, son odorat était tellement hors du commun qu'il lui permettait de détecter la présence de quelqu'un dans une pièce, même si celui-ci l'avait quittée depuis une heure.

Alors quand on lui avait parlé d'une femme morte en odeur de sainteté, elle s'était dit « J'vas tout de même ben aller voir ce que ça sent c't'affaire là! »

Elle exploitait un commerce qui exigeait d'elle une grande capacité à s'adapter à des horaires flexibles, certains de ses clients éprouvant des envies très spéciales à deux heures du matin. Alors, une nuit où ses « réguliers » ne s'étaient pas manifestés, elle annonça à son amie Vanessa « C'est à soir qu'on va voir la sainte! »

Armées jusqu'aux dents et prêtes à se défendre si nécessaire, elles arrivèrent à leur destination. Elles ne virent, à leur agréable surprise, aucune file d'attente devant l'entrée de l'imposant bâtiment aux vitrines placardées. Elles entrèrent et s'installèrent dans un coin de la grande salle d'où elles avaient une vue d'ensemble sur le sanctuaire improvisé, histoire de humer un peu l'ambiance. Constatant que plusieurs fidèles étaient agenouillés et se recueillaient en silence, elles firent comme eux.

Au bout d'un moment, elle repéra un de ses réguliers à genoux qui priait, accompagné de sa légitime. Elle était presque sûre qu'il lui avait adressé un clin d'œil, mais elle se comporta comme si elle n'avait rien vu et resta discrète. Ne pas devenir une pomme de discorde entre des époux était sa façon à elle de respecter le mariage. Finalement, elle se releva et s'approcha de la sainte. Elle était obligée de maintenir une certaine distance, car trop de pèlerins désiraient lui toucher et les responsables du lieu avaient dû improviser une barrière faite de planches unies par deux montants massifs et une traverse oblique.

Un grand curé chauve priait tout près du cadavre de la jeune femme, mais il se trouvait de l'autre côté de la dépouille et Tiffany ne le voyait pas très bien. À tout moment, il plongeait son goupillon dans son bénitier, puis le ressortait, humecté d'une bonne dose d'eau bénite dont il aspergeait le corps. Et il ne la ménageait pas. Tiffany se dit que si la Sainte n'était pas déjà morte, ce curé allait l'achever en la noyant...

À un certain moment, il en mit un peu trop dans son instrument et il manqua sa cible. Comme il avait projeté la charge en direction de Tiffany, ce fut elle qui reçut la dose d'eau bénite, qui éclaboussa tout le devant de sa chemise. Mais ce n'était pas un simple liquide qui avait atterri sur elle. Elle reconnut d'ailleurs tout de suite l'odeur. Il s'agissait de l'arôme d'un parfum nommé Nuit d'Amour. Elle le savait parce qu'elle en gardait une fiole près de son lit et qu'il s'était révélé, à l'usage, le préféré de beaucoup de ses clients.

Elle enjamba d'un bond la barrière et se rua sur le curé. Elle lui lança « Montre-moi donc ça c'que t'as là-dedans. » Mais l'autre esquissa un mouvement de recul. Serrant contre lui son bénitier et brandissant son goupillon, il entra dans une colère noire. Il cria « Madame, sortez d'ici! » Mais Tiffany pouvait maintenant voir le cadavre de proche. Et le respirer aussi. Malgré tout le parfum dont le prêtre avait aspergé la dépouille, elle sentait la charogne. De près, l'odeur se dégageant du corps de la sainte ne prêtait à aucune équivoque.

Tiffany cria « Mais vous essayez de nous fourrer, mes maudits! » Indignée et en colère, elle lâcha quelques mots d'église avant d'être expulsée de force par les gardes.

*** Toutes les illustrations qui accompagnent ce roman ont été réalisées grâce à l'Intelligence Artificielle sur le site NightCafe Studio.



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