Joseph ne désirait qu'une chose : que toute cette histoire finisse. Il avait appris son rôle, il était prêt. Son père lui avait fait parvenir des vêtements de chez lui. Au moins, il avait repris une apparence plus convenable. À force de porter des sous-vêtements en permanence, il avait fini par perdre la notion de dignité humaine. Mais il avait beau être plus présentable, il s'apprêtait tout de même à proférer un énorme mensonge, et qui plus est devant un magistrat de la Haute Cour du District militaire de Québec.
Un garde le conduisit dans le bureau du Juge. Une surprise l'attendait. Il s'agissait d'une femme et il la connaissait. Clarisse Bérubé était une vieille amie de sa mère, qui était d'ailleurs venue dîner chez eux, il n'y avait pas très longtemps de ça. En plus de la Juge et de son secrétaire, son père et son oncle Mathias attendaient déjà dans la vaste pièce et semblaient au moins aussi pressés que lui de passer à autre chose. La sixième personne était son avocate, qu'il rencontrait pour la première fois et qu'on lui présenta comme maître Moon Cheung.
Il n'avait jamais vu la juge Bérubé habillée autrement qu'en jupe de lin et chemisier boutonné jusqu'au cou, sans bijoux ni ornement d'aucune sorte. Au travail, ce style décontracté n'était plus de mise. Son costume se situait à mi-chemin entre une armure du Moyen-Âge et une robe d'apparat. Le bureau lui-même impressionnait par sa richesse : plafonds ouvragés, draperies de velours rouge aux fenêtres, meubles de style. Et pour ce bel écrin, son père et son oncle avaient ciselé un bijou de mensonge qui n'avait rien à envier aux joyaux de la couronne d'Angleterre!
― Alors, dit la Juge, si tout le monde est là, on peut commencer. Ai-je besoin de vous rappeler que cette rencontre ne présente aucun caractère officiel, et que tous les faits relatés ici resteront confidentiels? Le secrétaire ne prendra des notes que pour mon usage personnel. Alors , vous avez la parole.
― Votre Honneur, ce jeune homme qui se tient devant vous aujourd'hui désire avant tout laver sa réputation que des racontars et des rumeurs infondées ont malheureusement ternie. Je requiers donc votre attention et réclame que vous entendiez son témoignage. Par la suite, Votre Honneur, nous vous demanderons, si cela vous convient, bien entendu, d'émettre une déclaration solennelle de la part de la Haute Cour du District militaire de Québec à l'effet de rétablir l'honorabilité et la respectabilité de toute une famille qui a copieusement souffert d'atteintes que nous souhaitons tous ne pas être irrémédiables.
Joseph réussit non sans mal à garder son sérieux devant cette diarrhée verbale. « Mais qu'est-ce que c'est que ce charabia? » pensa-t-il. Les avocats devaient-ils suivre des cours de langue de bois, ou s'agissait-il d'un don naturel? Il plaignait le pauvre secrétaire qui devait noter tout ça et qui devrait plus tard le retranscrire au bénéfice de Son Honneur.
― Oui, oui... répondit cette dernière, on verra... Vous parlez de rumeurs infondées... Mais tout de même, ces rumeurs sont persistantes, et d'une gravité indéniable. Non?
― C'est-à-dire Votre Honneur...
Joseph entendit son père se remuer sur sa chaise, inconfortable. Les choses ne semblaient pas se dérouler comme il le souhaitait. D'abord, il n'avait pas obtenu le magistrat auquel il s'attendait. Ensuite, cette nouvelle juge ne semblait pas prête à jouer selon les règles préétablies. Il se racla la gorge.
― Voyons, Clarisse, nous avons déjà discuté de tout ça, vous vous souvenez?
Joseph n'en revenait pas! Avait-il bien entendu? Son père venait d'appeler Son Honneur par son petit nom, Clarisse? Il n'était pas certain que « Clarisse » allait apprécier. Et comme de fait, il la vit se caler dans son fauteuil, rajuster ses lunettes sur son nez et toiser le Colonel.
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La République des Miracles
Ficção Científica2070 : Une guerre nucléaire ravage la planète. 2121 : Dans la région de Québec, des survivants essaient de rebâtir une société à partir des ruines de l'ancienne. Mais les choses ne sont pas si simples... D'un côté, des catholiques traditionalistes...