Chapitre 38, où Arnaud assiste à la translation du corps de Maëlle

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Arnaud était allé revoir les ambulanciers. Ils lui affirmèrent avoir aperçu de nouveau le curé qui s'était présenté la nuit où ils avaient amené Maëlle à la morgue. Ils purent lui en dresser un portrait plus fidèle. L'agent de Sécurpol ne fut pas si surpris de reconnaître, dans leur description, le père Mathias. Il espérait le voir dans la journée, car il avait quelques questions pour lui et l'ecclésiastique n'avait pas intérêt à le prendre de haut comme lors de leur rencontre à son bureau.

Eduardo Rodriguez semblait satisfait. Avec le départ du cadavre de Maëlle, il allait récupérer sa salle d'autopsie. Heureusement pour Arnaud, on avait mis au courant le directeur de la morgue du rôle qu'il avait joué dans le déménagement du corps. Rodriguez avait donc parlé de lui en bien à Tom, son patron, ce qui avait permis à Arnaud de conserver son poste, pour l'instant du moins. Il avait eu droit à tout un savon de la part de Tom quand il avait dû lui avouer qu'il était « persona non grata » dans la maison de Louise Quintal et du colonel Traversy. Mais tout n'était pas perdu. Il continuait à garder l'œil ouvert au cas où il verrait Joseph ou Nan. Il avait des questions pour eux aussi.

Une foule considérable s'était déplacée pour assister au transfert de la dépouille de Maëlle de la morgue à son nouveau lieu d'exposition. C'était dans une ancienne épicerie désaffectée presque en face, de l'autre côté du chemin Sainte-Foy. Le service d'ordre improvisé avait interrompu l'accès au corps. Arnaud trouvait étrange que l'évêché n'ait pas sauté sur l'occasion pour prendre les choses en main et qu'il tolérait encore que ces jeunes « amateurs » dirigent les opérations.

Peut-être la situation serait-elle différente lorsqu'on aurait installé la dépouille de Maëlle dans sa nouvelle chapelle ardente. Il réfléchissait à tout ça quand il vit une jeune Noire s'approcher de lui, un micro à la main.

― Désolé, je n'ai rien à dire, lui lança-t-il avant même qu'elle ait eu le temps de prononcer un seul mot.

― Vous êtes un agent de Sécurpol? Avez-vous été engagé pour assurer la sécurité des lieux? De Sa Seigneuresse Estevez? De la Sainte-Dépouille?

― Je suis ici à titre personnel. Je ne ferai aucun commentaire.

Il tourna le dos à la journaliste et s'éloigna. « La Sainte-Dépouille! » Qu'est-ce qu'elle allait inventer là! Il se demanda s'il devait l'informer que la « Sainte-Dépouille » avait un nom, Maëlle... Mais Maëlle qui, au fait? Il devrait éclaircir au moins ce point-là, avant de penser à révéler quoi que ce soit à Radio-Chaos.

En attendant, ce qui ressemblait à un corbillard venait de prendre position devant la porte du garage. Les choses semblaient vouloir bouger un peu. Près de l'entrée des bureaux de la morgue, Arnaud aperçut Eduardo Rodriguez en grande discussion avec un homme d'un certain âge, chauve et plutôt corpulent, en habit ecclésiastique. « Tiens, tiens! Voyez-vous ça! » pensa-t-il. Le père Mathias avait décidé de venir se frotter aux barbares. Il n'avait pas encore remarqué la présence d'Arnaud. Ce dernier choisit donc de faire un large détour afin de le prendre à revers et le surprendre.

― Bonjour, Père Mathias, comment allez-vous?

L'ecclésiastique sursauta, mais retrouva sur-le-champ sa contenance. Eduardo Rodriguez salua Arnaud d'un sonore « Bonjour Monsieur Riopel » et en profita pour s'éclipser à l'intérieur de ses bureaux.

― Tiens! Je ne vous avais pas vu, dit le père Mathias. Alors êtes-vous content? Est-ce que tout cela est à votre convenance?

― Je suis surtout satisfait que monsieur Rodriguez récupère ses locaux. Mais je trouve dommage que l'autopsie de cette jeune fille ne puisse jamais avoir lieu.

― Pourquoi?

― Ça semble assez évident. Cette foule n'acceptera jamais qu'on dissèque le cadavre de celle devant qui ils viennent se recueillir. Elle considérerait cela comme une violation de son caractère sacré et alors, les risques d'émeute...

― Non, l'interrompit le père Mathias, je veux dire, pourquoi devriez-vous « trouver cela dommage »? Après tout, est-il vraiment important de connaître la cause de son décès? Ne suffit-il pas de savoir que maintenant, elle vivra pour toujours dans le cœur et l'âme de tous ces braves gens? Cette mort est en soi tragique, sans doute. Mais ne peut-il en émaner quelque chose de plus beau, de plus grand?

― Peut-être, mais celui ou celle qui a fait ça devrait-il s'en tirer aussi facilement? La vérité n'a-t-elle aucune importance?

― Vous êtes jeune et intelligent. Vous finirez par comprendre que les gens se fichent pas mal de la vérité. Ils veulent croire, ça leur suffit. Regardez-les! Ils sont comme un troupeau de moutons à la recherche de leur berger. Ils ont besoin de guides pour les mener vers les plus verts pâturages, pour leur montrer ce qui est bon pour eux.

Il se tourna vers le stationnement et se mit à observer la file d'attente qui s'étirait au soleil, calme et disciplinée. Devant le spectacle des malades, infirmes et miséreux de toutes sortes, ses lèvres esquissèrent un sourire dédaigneux.

― Au fait, reprit-il, vous les avez fréquentés, vous, alors dites-moi, qui est donc le roi de cette Cour des Miracles?

― Le roi?

― Le dirigeant si vous préférez. Ce service d'ordre ne s'est pas créé tout seul...

― En fait, dit Arnaud, si j'ai bien compris, c'est une sorte de mouvement populaire.

― Un mouvement populaire! s'esclaffa le Père Mathias. C'est encore pire que je ne pensais. Ce n'est pas la Cour des Miracles, c'est la République des Miracles!

            Il avait craché ce mot, « république », comme s'il avait parlé d'une chose répugnante

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Il avait craché ce mot, « république », comme s'il avait parlé d'une chose répugnante. Arnaud ne répondit rien, se disant que ça n'en valait pas la peine. Le père Mathias n'avait pas l'air d'attendre de lui une quelconque forme d'acquiescement, de toute façon. Le vieux curé se détourna et commença à s'éloigner en direction du corbillard, mais Arnaud n'était pas prêt à le laisser partir, pas aussi facilement.

― Au fait, père Mathias, on m'a raconté que cette jeune fille était une domestique qui travaillait pour votre sœur. Est-ce vrai? On m'a aussi raconté que vous vous étiez présenté ici même, dans cette morgue, peu de temps après qu'elle se soit fait assassiner. Quelques minutes après son arrivée, en fait. En plein milieu de la nuit, si loin de chez vous... Pour faire quoi, au juste? Et comment avez-vous pu savoir où elle était?

Le prêtre se retourna. Toute sa bonhommie naturelle s'était envolée, et Arnaud se retrouva devant un homme austère, en soutane noire, qui le fixait d'un regard sombre.

― Vous ne devriez pas poser ce genre de question. De toute façon, vous ne sauriez pas quoi faire avec la réponse.

*** Toutes les illustrations qui accompagnent ce roman ont été réalisées grâce à l'Intelligence Artificielle sur le site NightCafe Studio.


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