Chapitre 39, où Joseph revoit Gabrielle Trépanier et est capturé par des zouaves

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― Merde! C'est mon oncle.

L'autre ne l'avait pas encore repéré, mais c'était bien son oncle Mathias que Joseph apercevait là-bas. Il n'avait eu aucune difficulté à le reconnaître. Avec ses vêtements sacerdotaux, son oncle ne faisait pas beaucoup d'effort pour passer inaperçu. Il était en grande discussion avec le conducteur du fourgon mortuaire. Ou plutôt, en train de lui donner des instructions. Parce que le chauffeur, lui, ne disait pas un mot. Il hochait la tête, dans une attitude d'obéissance servile.

Joseph plia les genoux pour être moins visible et mieux se fondre dans la marée humaine qui déferlait sur le stationnement de la morgue. Il avait tenté de calculer le nombre d'individus qui composaient cette foule hétéroclite, mais avait vite perdu le compte. Il ne se rappelait pas avoir vu autant de monde de toute sa vie. À vue de nez, au moins mille personnes s'entassaient devant l'édifice de la morgue. Il aurait pu aller se réfugier derrière un grand gars, un peu sur sa droite, mais la foule était trop dense et il ne pouvait se déplacer facilement. Julia le regardait d'un drôle d'œil.

― Qu'est-ce qui te prend?

― Là-bas, dit-il, c'est mon oncle Mathias et je n'ai pas envie de me faire repérer.

Ils étaient arrivés trop tard, Julia, Nan et lui. La file d'attente était déjà longue pour avoir accès à la dépouille quand les gens du service d'ordre avaient décidé, subitement, que plus personne n'entrait. Ils n'avaient pu rien voir, mais avaient entendu dire que les responsables allaient amener le corps de l'autre côté de la rue. Pour l'occasion, ils avaient organisé une sorte de bouffe communautaire ou un repas collectif, Joseph n'était pas trop sûr. Mais ils attendaient, parce qu'ils n'avaient rien de plus intéressant à faire et qu'ils commençaient à avoir faim.

― De qui tu parles? lui demanda Julia. Du conducteur de la limousine?

― D'abord, ce n'est pas une limousine, c'est un corbillard. Moi, celui qui m'intéresse, c'est celui qui discute avec le chauffeur.

― Le curé?

― C'est Mathias, le frère de ma mère, et un copain de Paloma.

― Paloma... C'est qui, ça?

― Paloma Estevez, l'évêque. Tiens, quand on parle du loup...

Son oncle s'était approché de l'avant du fourgon mortuaire. Il observait l'arrivée d'un convoi constitué d'une longue limousine noire suivie d'une autre plus petite, toutes les deux arborant le drapeau du diocèse de Québec. Il comprit que Sa Seigneuresse en personne allait les gratifier de sa présence.

Une douzaine de motos encadraient les deux voitures. Des agents de la Garde des Fortifications les chevauchaient. Ils avaient enfilé leur veste à ceinturon, leur culotte bouffante, leurs bottes cirées, s'étaient affublés de leur épée de parade et coiffés de leur casquette galonnée des grands jours. Des uniformes qu'ils gardaient en réserve dans leur penderie et qu'ils ressortaient seulement lors d'occasions extraordinaires. « Elle a vraiment mis le paquet, la Paloma! Et elle a amené ses zouaves avec elle pour être certaine de se faire remarquer », pensa Joseph.

Le convoi arrivait à vitesse réduite, calculée pour produire un effet maximum et s'arrêta un peu à l'écart de la foule. Le père Mathias se précipita vers la limousine et s'empressa d'ouvrir la portière à Sa Seigneuresse qui, après s'être assurée que les alentours étaient sécuritaires, quitta finalement l'abri de son véhicule. Quelques zouaves avaient pris position autour du petit bout de femme dans sa longue robe blanche. Joseph eut l'impression qu'elle avait un piercing bizarre sur la joue droite, mais à cette distance, il ne pouvait en être certain. Il n'eut pas non plus le temps de s'approcher, car ce fut presque au pas de charge que le groupe s'enfonça dans l'entrée du garage de la morgue.

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