Chapitre 36 où Nadine Bourlamaque, de Radio-Chaos, reçoit un témoignage étonnant

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Quand le patron de Radio-Chaos lui avait intimé l'ordre de réaliser un reportage sur la « Sainte de Québec », Nadine Bourlamaque avait poussé un soupir de résignation. Pour dire vrai, tous ces trucs de religion suscitaient en elle un ennui profond. Et puis, Radio-Chaos était une station commerciale et n'avait pas pour mission d'être la voix officielle de Sa Seigneuresse Paloma Estevez. Celle-là, elle avait déjà une antenne consacrée à ses bonnes œuvres. Ils n'allaient pas, en plus, faire son travail à sa place.

C'étaient d'ailleurs les journalistes de la seule station concurrente, Radio-Espérance, qui avaient publié en primeur les informations sur la Sainte de Québec. Alors pour ne pas être en reste, son patron lui avait fait comprendre que ne pas en parler n'était pas une option.

C'était écrit juste en dessous des portraits des trois journalistes-vedettes de son émission matinale. Incluant la mauvaise photo d'elle qu'elle n'aimait pas, un hologramme réalisé à l'époque où elle s'efforçait de lisser ses cheveux crépus au fer plat et pour lequel elle avait demandé au photographe de pâlir sa peau. Même le rubis qu'elle avait fait enchâsser dans le piercing sur son nez y ressemblait à une verrue violette. Elle avait mûri depuis ce temps et assumait maintenant sa coupe afro et son teint d'ébène. Elle s'était résignée aussi à appliquer le conseil de sa mère en s'accrochant un sourire aux lèvres. Le résultat positif de ses efforts, c'était que lorsque les gens la rencontraient, ils semblaient trouver qu'elle était bien mieux en personne.

En arrivant ce matin-là, elle avait pu constater l'importance de la foule qui s'agglutinait sur le stationnement devant la morgue. On aurait dit que tous les survivants de la planète s'étaient donné rendez-vous sur le chemin Sainte-Foy malgré le temps maussade. C'était d'ailleurs le festival de la marchette, de la béquille et du fauteuil roulant.

Ces habitants de la ville n'étaient pas seuls. De distingués citoyens du Vieux-Québec intra-muros avaient renoncé à la sécurité de leurs remparts et acceptaient de défiler docilement à la queue leu leu avec le commun des mortels.

Même des groupes de Surves s'étaient déplacés pour s'émerveiller devant le phénomène. Nadine avait vu une fratrie au complet, vêtue comme des coureurs de bois, s'installer dans la file. Ils serraient les rangs, comme pour former un écran de protection autour d'un vieillard qui gisait là, amorphe. On murmurait à la ronde que ce patriarche, chef d'une grande famille de l'ouest de la région, était mourant après avoir reçu un coup de hache dans le dos à la suite d'une dispute avec un village voisin au sujet de l'accès à un ruisseau. Quand Nadine avait voulu l'interroger, des membres de son clan lui avaient fait comprendre, pistolets aux poings, que personne n'aurait la permission d'importuner le vieil homme.

 Quand Nadine avait voulu l'interroger, des membres de son clan lui avaient fait comprendre, pistolets aux poings, que personne n'aurait la permission d'importuner le vieil homme

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Certains groupes avaient marché des heures dans la forêt pour venir se recueillir sur le corps de l'inconnue qui reposait dans une salle de la morgue. La dépouille était peut-être anonyme, mais elle s'était malgré tout fait remarquer par les nombreux « vendeurs du temple » que comptait la ville. Un marché aux puces avait surgi de nulle part et des tables de commerçants occupaient maintenant toute une section du stationnement, proposant des statuettes, portraits de Jésus, livres de piété, bijoux, chapelets. Une diseuse de bonne aventure offrait ses services, « Madame Belinda Bélisle, voyante extra-lucide », à en croire l'affichette apposée devant son kiosque.

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