Chapitre 40, où Arnaud échange des informations avec Julia

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Le père Mathias avait refusé de répondre à ses questions, qui étaient pourtant légitimes, selon Arnaud. Il avait seulement laissé entendre que la situation s'avérait plus complexe qu'Arnaud le pensait. Puis il était allé accueillir Sa Seigneuresse Estevez et superviser le déroulement de la procession laissant Arnaud, qui n'avait pas reçu de réponses satisfaisantes à toutes ses questions, dans une grande perplexité.

Une fois le corps de Maëlle placé dans le fourgon funéraire, le cortège s'était mis en branle dans un calme solennel. Le corbillard d'abord, qui avançait au pas de marche. Puis, brandissant une croix fixée au bout d'un long bâton, l'évêque Estevez suivait, son visage affichant une piété affectée. Sa garde personnelle l'entourait, des soldats qui, même s'ils arboraient leur tenue d'apparat, portaient tous au moins deux pistolets à leur ceinture et assez de munitions pour soutenir un siège en règle. Elle s'aventurait rarement à l'extérieur des fortifications. Sans doute n'avait-elle accepté de se présenter à cette cérémonie qu'à la condition d'être protégée contre la foule des « barbares ».

Suivaient quelques ecclésiastiques, puis l'armée des fidèles venait fermer le cortège. Quelques commerçants improvisés, vendeurs de souvenirs religieux ou restaurateurs, se hâtèrent de plier bagage dans l'espoir d'obtenir une place de choix sur le terrain du nouveau sanctuaire.

Il y eut, plus loin dans la foule qui observait le défilé, ce qu'Arnaud prit d'abord pour un mouvement de panique. L'assistance s'éclaircit brusquement, on entendit un cri, puis une clameur, puis d'autres imprécations proférées par une jeune fille. Des membres de la Garde des Fortifications transportèrent un garçon inanimé dans les bureaux de la morgue. Quelques minutes plus tard, Arnaud repéra Nan, elle aussi escortée par des gardes. Elle paraissait très calme, comme toujours.

Pas comme la fille qui se déchaînait après eux. Elle hurlait de lâcher le gars, qu'ils n'avaient pas le droit de le traiter ainsi, qu'il n'avait commis aucun crime. Nan lui répondit doucement, en l'appelant Julia. Arnaud reconnut enfin le garçon, Joseph, le fils du colonel. Celui qu'il recherchait. « On dirait qu'ils l'ont trouvé avant moi, » pensa-t-il avec dépit.

Peu de temps après, quand la procession se fut éloignée et que le stationnement eut retrouvé sa quiétude, une voiture de patrouille vint récupérer un Joseph encore sans connaissance et une Nan toujours aussi imperturbable. Ils prirent place dans le véhicule, pendant que les gardes tenaient à distance Julia, qui observait le tout sans pouvoir rien empêcher. Elle ne se priva pas, cependant, d'insulter les hommes armés qui avaient l'air de trouver ces invectives très divertissantes. Puis la voiture fila en direction du Vieux-Québec, laissant la jeune fille assise sur une marche d'escalier, effondrée et à bout de souffle, image même du désespoir. Il s'approcha d'elle, mais elle se leva et esquissa une tentative de fuite.

― Je ne te ferai pas de mal, la rassura Arnaud. Je veux juste te poser une question. Je peux t'appeler Julia?

Surprise, elle freina et s'arrêta, incertaine. Au bout d'un moment, elle se rassit, sans toutefois le quitter des yeux, méfiante. Au moins, elle était restée. Il se tint à une certaine distance, afin de lui laisser le temps d'apprivoiser sa présence.

― Comment sais-tu mon nom? lui demanda-t-elle.

― J'ai entendu Nan t'appeler comme ça, tout à l'heure.

― Tu connais Nan? T'es qui au juste?

― Je suis Arnaud Riopel, agent de Sécurpol. Je la connais bien, très bien même. J'étais présent au moment de sa découverte dans le bunker. J'essaie juste de comprendre quel est ton lien avec Joseph et elle. J'étais moi-même à leur recherche.

― T'es un genre de policier?

― Plus du genre « détective privé ». Savais-tu que cette fille dont on transportait le corps aujourd'hui s'appelait Maëlle, et qu'elle travaillait comme domestique au service des parents de Joseph?

― C'était Maëlle? La sainte?

Elle ignorait ce détail et sembla assez secouée par cette information. Elle lui raconta alors comment elle avait rencontré Joseph, comment Nan l'avait retrouvé et avait décidé de rester auprès de lui pour le protéger. Arnaud apprit aussi tout sur leur accrochage avec trois squatteurs qui allaient se souvenir longtemps, eux, de leur rencontre avec un robot.

― C'est du Nan tout craché, ça! Mais dis-moi, est-ce que Joseph t'a raconté pourquoi il s'était enfui de chez ses parents?

Elle hésita, puis expliqua qu'elle préférait rester silencieuse, ayant promis à Joseph de ne rien révéler du secret qu'il lui avait confié.

― Je comprends, Julia. Mais Joseph a besoin d'aide, maintenant. Aide-moi à voir clair dans ce qui s'est passé, OK? Je suis de son côté...

Après quelques secondes où elle semblait hésiter à lui faire confiance, elle lui répéta ce que Joseph lui avait confié avoir vu le soir de la mort de Maëlle. Ce fut au tour d'Arnaud d'être secoué par son récit. Les événements dont Joseph avait été le témoin impuissant présentaient une importance capitale. Et il était plus que probable que son enlèvement était lié à ce qu'il avait vu ce soir-là. Sa disparition soulevait donc de vives inquiétudes. Sa vie reposait maintenant entre les mains de ceux qui avaient peut-être tué Maëlle.

Des éléments restaient à éclaircir, entre autres sur le rôle qu'avait joué le père Mathias dans tout ça. Tout à l'heure, il n'avait pas nié être venu à la morgue la nuit de l'assassinat de Maëlle, il lui avait juste conseillé de ne pas poser trop de questions. S'était-il vraiment contenté de dire quelques prières pour l'âme de la jeune fille?

Il donna à Julia la carte professionnelle de Sécurpol. Elle-même n'avait pas le téléphone. Il lui offrit de la raccompagner chez elle, mais elle déclina son offre. Elle le quitta, marchant à vive allure en serrant de ses mains le col de sa veste, car un vent frais venait de se lever. Il regarda la frêle silhouette traverser la rue. Arrivée de l'autre côté, elle resta immobile quelques secondes, comme incertaine sur la direction qu'elle devait prendre, puis repartit d'un pas hésitant avant de se fondre dans la foule.

*** Toutes les illustrations qui accompagnent ce roman ont été réalisées grâce à l'Intelligence Artificielle sur le site NightCafe Studio.



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