Arnaud reposa sa tasse de cappuccino en regrettant qu'elle ait été si petite. Il n'avait jamais rien goûté d'aussi délicieux.
― Waouh! J'aurais voulu vivre dans ce temps-là rien que pour pouvoir boire ça tous les jours.
― Ah oui? dit Caitlin. T'as aimé ça? Tu peux avoir le mien dans ce cas. Moi, je préfère de loin mon café d'orge.
Elle avait à peine entamé sa tasse. Arnaud ne se fit pas prier et se saisit du récipient encore fumant. Ils venaient d'assister à la démolition de la porte du haut. Ce qui les avait surpris, mais pas tant que ça. Sa plus grande qualité était son invisibilité. Leur vraie protection, la plus solide, c'était celle d'en bas. Et cette porte-là, ces Surves n'étaient près d'en venir à bout. Constatant qu'Aliénor s'était penchée vers son petit-fils et lui parlait à voix basse, ils tendirent l'oreille, mais furent incapables de comprendre quoi que ce soit.
― J'aurais aimé entendre ce qu'ils se sont dit.
Arnaud s'était adressé à Caitlin, mais ce fut Nan qui fournit la réponse à sa question.
― L'enfant, qui s'appelle Philibert, lui a demandé pourquoi ils n'essayaient pas d'ouvrir la porte d'en bas. La femme a répondu, en gros, qu'elle préférait négocier et éviter une bataille parce qu'elle ne veut pas courir le risque de blesser qui que ce soit. Elle a terminé en disant « Personne ne sort gagnant d'une guerre. Tout le monde perd quelque chose. »
― Tu as compris leurs paroles? s'exclama Caitlin. Mais c'était à peine audible!
― Oui, évidemment. Je suis capable d'augmenter la sensibilité de mon audition, et en plus je peux lire sur les lèvres. C'est très pratique.
― Bien, on le saura! On ne peut pas avoir de secrets pour toi, si je comprends bien.
― Je peux aussi être très discrète, ne craignez rien, la rassura Nan en souriant.
― C'est quand même intéressant de savoir qu'elle préfère négocier, dit Arnaud. Tu as vu tantôt le regard qu'elle a lancé vers la porte d'en bas quand ils ont réussi à ouvrir celle d'en haut?
― J'ai pas remarqué, non.
― Elle a bien évalué à quel point il serait difficile d'en forcer l'ouverture et elle comprend que sa position n'est pas aussi forte qu'elle veut le faire croire. Mais si elle a envie de négocier, on va négocier. Tu es prête?
Il s'approcha de l'écran et ouvrit la communication.
― Aliénor? Nous avons étudié votre offre de nous laisser la vie sauve. C'est intéressant, bien sûr, mais ma cliente a beaucoup investi dans cette expédition et ça ne sera pas suffisant. Elle est prête à vous offrir vingt-cinq pour cent, soit le quart du contenu du bunker. Nous pouvons aussi garder pour nous toutes les richesses que recèle cet abri et vivre ici pendant les cinquante prochaines années. Notre offre est donc généreuse. Qu'en dites-vous?
Le visage d'Aliénor ne montra aucune émotion malgré la pointe d'ironie implicite dans ces paroles. À peine si Arnaud nota un léger froncement aux commissures de ses lèvres. Il admira sa capacité à rester stoïque, n'étant pas certain qu'il aurait su lui-même faire preuve d'autant de sang-froid. Aliénor prit son temps pour se relever de son fauteuil, tenant toujours la main de l'enfant dans la sienne.
― J'ai bien entendu votre proposition. Le quart, dites-vous? Je dois en discuter d'abord. Ne vous éloignez pas, ça ne sera pas long...
Elle avait prononcé la dernière phrase avec un sourire en coin, comme pour leur montrer qu'elle aussi pouvait répondre par le sarcasme. Elle savait bien qu'ils étaient de toute façon prisonniers du bunker et qu'ils ne pouvaient pas « s'éloigner ». Elle fit signe à celui qu'elle appelait Clothaire de la suivre et, toujours accompagnés de l'enfant, ils s'éloignèrent du groupe. Arnaud coupa la communication et se tourna vers Nan.
― Crois-tu que tu pourras me rapporter leurs paroles?
― Je vais faire de mon mieux. Mais peut-être devriez-vous jeter un coup d'œil à ceci...
Elle manipula quelques touches sur le clavier et l'image de l'intérieur de la remise s'afficha à l'écran. Le tapis qui masquait la trappe avait été repoussé sur le côté et deux jeunes garçons étaient maintenant installés par terre avec une carabine sur leurs genoux. Ils semblaient s'ennuyer ferme.
― Ils ont découvert notre sortie d'urgence, lança Caitlin, déçue. Cette Aliénor est peut-être folle, mais elle n'est pas idiote.
― Toi Caitlin, dit Arnaud, tu devrais commencer à dresser une liste des choses que tu veux à tout prix emporter avec toi. Je peux t'aider, d'ailleurs. C'est très possible qu'on soit obligés de partir à la hâte, pratiquement sans préavis. Alors il faudra être prêts.
― Pourquoi? Qu'est-ce qu'il va arriver, d'après toi?
― Je n'en sais rien, mais je me méfie de cette femme. Je veux juste qu'on essaie de prévoir toutes les éventualités. Elle pourrait décider d'incendier la maison et rendre inaccessible la seule porte de sortie qui nous reste. Elle pourrait localiser les prises d'air extérieures du bunker et y introduire des gaz toxiques. Je ne sais pas tout ce qu'elle peut faire, mais je veux qu'on ait un plan B, tu comprends?
― Tu as raison. Je vais faire une liste du minimum à emporter.
Elle se leva et annonça qu'elle serait dans la réserve derrière la cuisine à poursuivre l'inventaire qu'elle avait entrepris.
Arnaud pensa qu'en fait de plan B, il n'y avait pas tant de possibilités... Une sortie en force, c'était la mort presque certaine. Patienter au fond du bunker jusqu'à ce qu'Aliénor et sa troupe se lassent, il ne fallait pas trop y compter. Rester planqué ad vitam aeternam ne l'intéressait pas tellement. Il avait une vie à l'extérieur. Mourir d'ennui, même dans le confort, n'était pas une option pour lui, et il était certain que sa cliente pensait pareil. Il lança à Nan « Préviens-nous s'il se passe quelque chose » et, n'ayant rien d'autre à faire, se leva et rejoignit Caitlin dans la réserve.
*** Toutes les illustrations qui accompagnent ce roman ont été réalisées grâce à l'Intelligence Artificielle sur le site NightCafe Studio.
VOUS LISEZ
La République des Miracles
Science Fiction2070 : Une guerre nucléaire ravage la planète. 2121 : Dans la région de Québec, des survivants essaient de rebâtir une société à partir des ruines de l'ancienne. Mais les choses ne sont pas si simples... D'un côté, des catholiques traditionalistes...