Joseph n'était pas maltraité, loin de là. Il était au chaud, nourri trois fois par jour. On lui fournissait du savon, on lui apportait des draps propres. Ses gardiens auraient pu le brutaliser s'ils l'avaient voulu. Qui l'aurait su? Il était seul dans sa cellule depuis trois jours et déjà, il avait l'impression que le monde entier l'avait oublié.
Il avait déjà décidé que, quand on l'amènerait à son procès, il dirait tout. Ça allait être un grand déballage, rien de moins! Personne n'en réchapperait. Pas de quartier! Son père et les officiers de la Garde des Fortifications, son oncle Mathias, Gabrielle et toute la « bonne société » du Vieux-Québec... Personne ne serait épargné! La seule chose qui l'attristait et pouvait encore le faire changer d'avis, c'était que sa petite sœur Lisbeth deviendrait une victime collatérale dans tout ça. Elle n'avait rien demandé, n'avait commis aucun crime. Elle allait souffrir, quelle que fût sa décision.
Il avait recommencé à prier. Comme il ne savait pas trop quel saint invoquer, il avait choisi sainte Maëlle. C'est dire à quel point il n'avait plus rien à perdre. Il avait imploré son pardon. Pour ce qu'il avait fait, mais surtout pour ce qu'il n'avait pas fait. Il l'avait priée de lui indiquer comment il pouvait réparer ses erreurs, comment revenir en arrière. Elle ne lui avait pas répondu.
En désespoir de cause, il s'était tourné vers la bibliomancie. Un de ses copains lui avait raconté que prendre une Bible et choisir un passage au hasard permettait de recevoir une réponse à une question précise. Il n'avait rien garanti, mais l'avait assuré que ça marchait souvent. Joseph n'avait que le Nouveau Testament sous la main, mais espérait que ça serait suffisant. Il avait fermé les yeux et pensé très fort à sa question. « Que dois-je faire? » Puis il avait ouvert le livre à une page quelconque et pointé une phrase avec son index, laissant le sort décider à sa place.
Enfin, il avait rouvert les yeux. Il était tombé sur un passage de la Première épître aux Corinthiens qui disait « C'est déjà une pleine déchéance que vous ayez des procès entre vous. Pourquoi ne pas plutôt subir l'injustice? Pourquoi ne pas vous laisser plutôt dépouiller? » Ça ne l'avait pas vraiment aidé. Il aurait eu besoin d'une solution à son problème, qu'on lui indiquât la voie à suivre. Au lieu de ça il en était sorti encore plus perplexe qu'avant.
Il y eut du mouvement à l'extérieur de sa cellule, Joseph entendit des voix, puis une clé tourna dans la serrure, des gonds grincèrent et son oncle Mathias entra, accompagné de son père. Il ne s'attendait pas à cette visite paternelle! Devait-il le craindre, ou bien était-ce lui qui devait avoir peur de son fils? La porte se referma derrière eux, le prêtre s'installa sur la seule chaise disponible pendant que le Colonel restait debout, sa casquette entre les mains et les yeux baissés. Joseph ne doutait pas un instant qu'il ne serait pas venu s'il avait eu le choix. Son oncle s'empara du Nouveau Testament et le feuilleta distraitement.
― Alors, Joseph, où en es-tu dans ta réflexion?
― J'ai pas mal fait le tour de la question, et j'en suis revenu à mon point de départ. S'il doit y avoir un procès, qu'il y en ait un!
― Donc, tu vas avouer?
― Non, rien du tout.
Les deux visiteurs se regardèrent, l'air découragé.
― Une journaliste a fait des reportages sur toi, récemment, insista son oncle. Elle a interrogé une de tes copines. Vois-tu de qui je parle?
― Aucune idée.
― Une certaine Julia à qui tu aurais fait des aveux... disons compromettants.
Joseph avait du mal à y croire. Avait-il aussi mal jugé Julia?
― Quels aveux?
― Ceux que tu refuses de nous faire à nous, concernant ta responsabilité dans la mort de Maëlle, par exemple...
Joseph était sidéré. Julia aurait déclaré à une journaliste qu'il aurait avoué le meurtre de Maëlle? Il ne connaissait pas la jeune fille depuis très longtemps, mais il n'aurait jamais cru qu'elle puisse commettre une pareille trahison. Avait-il pu se tromper à ce point?
― Jamais de la vie! protesta-t-il. Je lui ai répété exactement ce que j'ai dit à Nan, et vous avez la version de Nan.
― Tu as pu raconter une chose au robot et une autre à Julia, ça se peut très bien, ça, non?
Le colonel Traversy, qui était resté silencieux jusque-là, s'éclaircit la voix.
― Joseph, ne complique pas ton cas, avoue tout, dépose une déclaration solennelle devant le Juge, et tout sera fini. Il n'y aura pas vraiment de procès, l'affaire sera classée comme une mort accidentelle, on sera là pour s'en assurer. On ne te laissera pas tomber.
― Oui, renchérit son oncle, on étouffera tout ça assez rapidement. L'intérêt du public s'est quasiment volatilisé pour cette histoire. On prépare d'ailleurs les obsèques de Maëlle pour bientôt et dès qu'on aura mis sa dépouille en terre, tout ce scandale sera enterré avec elle. Alors, une simple déclaration de ta part et tu pourras passer à autre chose. On peut rencontrer le Juge dès demain. C'est un copain à moi. Tu retrouveras ta vie d'avant.
Joseph n'écoutait plus. Il était effondré. Julia avait raconté des mensonges. Dans l'esprit du public, il passerait pour un meurtrier tout le restant de sa vie. Si tout le monde le laissait tomber, pourquoi se battrait-il?
― Je signerai tout ce que vous voudrez. Amenez-moi voir le Juge.
― Ça, mon garçon, c'est la meilleure décision que tu pouvais prendre. Maintenant, on doit se mettre d'accord sur ce que tu lui diras.
*** Toutes les illustrations qui accompagnent ce roman ont été réalisées grâce à l'Intelligence Artificielle sur le site NightCafe Studio.
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La République des Miracles
Science Fiction2070 : Une guerre nucléaire ravage la planète. 2121 : Dans la région de Québec, des survivants essaient de rebâtir une société à partir des ruines de l'ancienne. Mais les choses ne sont pas si simples... D'un côté, des catholiques traditionalistes...