Joseph ne désirait qu'une chose : dormir. Après ce qui lui était arrivé la veille au soir, après qu'il se soit enfui du Vieux-Québec, puis qu'il eut passé la nuit dans un squat avec trois gars louches, il n'avait envie que de sombrer dans un sommeil profond. Et de ne jamais plus se réveiller.
Il était revenu de chez Gabrielle Trépanier vers deux heures du matin, puis était remonté dans l'échelle jusqu'à la fenêtre de sa chambre. Après avoir fait une pause sur le toit, histoire de vérifier que tout était calme, il était sur le point de regagner son lit. Au moment où il s'apprêtait à enjamber le châssis, il avait entendu son père et les officiers de la Garde des Fortifications sortir dehors sur la galerie, juste en dessous de lui.
Il était resté immobile, retenant son souffle. Ce qu'ils avaient dit et fait alors lui avait glacé le sang en ne lui laissant qu'une seule possibilité, fuir. Tourner le dos à son passé et ne jamais revenir. Même quand le groupe eut regagné l'intérieur de la maison il continua, sans bouger, à observer les rares lumières qui perçaient la nuit. Puis, quand Nan avait finalement ouvert la fenêtre de sa chambre pour lui demander de rentrer, il avait pris sa décision.
Il était redescendu par l'échelle et avait filé le long de la rue Sainte-Geneviève en direction de la terrasse Dufferin. Au bout de l'immense place se trouvait ce qu'on appelait autrefois la « Promenade des Gouverneurs ». C'était une sorte de passerelle accrochée au cap Diamant que les touristes empruntaient, avant le blitz, lorsqu'ils voulaient rejoindre les plaines d'Abraham.
C'était maintenant en ruine. Il était encore possible d'y accéder, mais il fallait savoir par où passer et faire bien attention où l'on mettait les pieds. Ça permettait surtout de contourner la surveillance des Gardes des Fortifications et d'atteindre la zone libre, la « zone des Barbares », comme l'appelait sa mère. Ce n'était qu'une fois arrivé sur la terrasse qu'il s'était aperçu que Nan était à ses trousses. Il avait pensé « Tant pis je fonce! »
Normalement, il essayait d'utiliser ce passage seulement les nuits où un certain garde était de faction. Ce dernier lui laissait le champ libre parce que Joseph lui graissait généreusement la patte. Mais ce soir-là, il n'avait même pas vérifié si ce soldat était là ou pas, se contentant de courir aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Avec Nan à sa poursuite qui lui criait de revenir, c'était impossible de rester discret. Il croyait bien avoir entendu un coup de feu à un moment, mais il n'avait pas eu la curiosité de demander à qui ce tir était destiné et ne s'était pas éternisé sur place pour le savoir.
Il avait réussi à semer Nan, puis avait couru sans reprendre son souffle. Il avait malgré tout été chanceux, car il avait rencontré trois gars qui rentraient chez eux et qui avaient accepté de l'héberger pour la nuit, en échange d'une modique somme.
Il n'avait pas si bien dormi que ça. Il avait fini par tomber dans un sommeil sans rêves vers cinq heures du matin, pour s'en voir extrait de force deux heures plus tard par ses trois logeurs. Comme la modique somme donnée la veille n'incluait pas le petit déjeuner, il avait dû quitter les lieux et se retrouvait donc au petit matin, errant et affamé, dans un secteur de la ville qu'il connaissait peu. Puis sa bonne fortune lui avait souri à nouveau.
Si sa mère avait été là, elle en aurait fait une commotion, c'est certain. Voir son fils fouiller dans les poubelles d'un Grill Burger, ça l'aurait achevé. Il avait profité de l'absence du gardien du resto, parti soulager sa vessie, pour fourrager dans le gros contenant brun à l'arrière du restaurant et tenter d'en extirper quelque chose de mangeable. On venait de sortir quelques vidanges toutes fraîches dans des boîtes en carton. Il se précipita et réussit à mettre la main sur un repas complet composé d'un Grill Burger mangé juste au quart, d'une poutine de ténébrions frits à peine entamée et d'un berlingot de jus de pomme même pas ouvert. En plus, le Grill Burger était en version crunchie, sa préférée. C'était son jour de chance.
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La République des Miracles
Science-Fiction2070 : Une guerre nucléaire ravage la planète. 2121 : Dans la région de Québec, des survivants essaient de rebâtir une société à partir des ruines de l'ancienne. Mais les choses ne sont pas si simples... D'un côté, des catholiques traditionalistes...