Dès le lever du soleil ce matin-là, Olivier Riopel avait longuement contemplé le Saint-Laurent envahi par une brume épaisse d'où émergeaient à peine les ruines des trois ponts de Québec. Le brouillard s'était levé et le fleuve charriait, en ce début d'après-midi, quelques petits blocs de glace qui, telle une armée en déroute, dérivaient en ordre épars vers l'île d'Orléans. Il était surpris d'en voir encore en cette période de l'année. D'habitude, ces phénomènes ne s'observaient que dans les pires mois de l'hiver.
La vue sur le fleuve. C'était une des deux raisons qui l'avaient poussé à s'installer dans cette maison du Cap-Rouge, du nom que ce lieu portait anciennement. Il sortit de sa contemplation pour aller jeter une bûche sur le feu. Non pas que le temps fut à ce point glacial, mais, à quatre-vingt-deux ans, sa résistance au froid n'était plus ce qu'elle avait été autrefois. Il remuait les braises dans le foyer quand il entendit frapper à la porte. Il saisit son fusil, plus par réflexe que par nécessité, car il se doutait de l'identité de celui qui arrivait ainsi à l'improviste.
Par acquit de conscience, il jeta un coup d'œil par la fenêtre en verre anti-balles. Ça, c'était la deuxième raison du choix de cette maison : la sécurité. Les anciens propriétaires n'avaient pas lésiné sur les moyens et avaient, à l'époque, équipé la résidence de tous les gadgets alors à la mode. Il ne restait de fonctionnels que ces vitres blindées et des serrures inviolables, mais c'était suffisant. Personne n'avait essayé de s'introduire dans sa forteresse depuis fort longtemps.
Il ouvrit la porte à son petit-fils. Deux filles l'accompagnaient, une rouquine et une asiatique à la chevelure d'un noir de jais. Que son petit-fils le visitât en compagnie de deux filles était inhabituel. C'était un solitaire, Arnaud. Il l'avait toujours été. Pas le genre à se laisser mettre le grappin dessus. L'asiatique était jolie sans excès, une figure avenante, un regard intelligent. Cette tête lui disait quelque chose, elle avait comme un air de déjà-vu. Elle ressemblait à quelqu'un, mais Olivier était incapable de l'identifier. Il vivait seul depuis longtemps et ne rencontrait plus personne. Quant aux visages des jeunes filles qui peuplaient ses souvenirs, il se dit qu'ils devaient maintenant être aussi fanés que le sien... La rousse était non moins jolie. Plus grande et plus sportive, mais avec tout de même une certaine mélancolie dans le regard. Elle avait l'air plus extravertie que l'autre, qui semblait plus réservée.
― Encore barricadé, Grand-père? lui lança Arnaud.
― Je vais très bien, merci de le demander. Et toi, toujours trop occupé pour donner signe de vie?
― On s'est vu il y a à peine quatre jours...
― Tu veux boire quelque chose? Tes amies ont faim? Il doit me rester un peu de café d'orge et des biscottes de ténébrions...
― Ça va, on vient de manger.
― Et ces dames...?
― Grand-père, je te présente Caitlin.
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La République des Miracles
Science Fiction2070 : Une guerre nucléaire ravage la planète. 2121 : Dans la région de Québec, des survivants essaient de rebâtir une société à partir des ruines de l'ancienne. Mais les choses ne sont pas si simples... D'un côté, des catholiques traditionalistes...