― Dis, Julia, ça te dérange qu'on éteigne?
― Oui, ça me dérange! Laisse la lampe allumée.
― Je dors toujours dans le noir!
― Eh bien, pas moi ! Et ce n'est pas négociable.
― C'est chez toi, alors on va faire comme tu veux.
Joseph n'était pas content, mais Julia ne voyait pas quelle raison il avait au juste de se plaindre. Ce n'était qu'une petite lumière sur le bureau, presque une veilleuse. On n'avait qu'à fermer les yeux et elle disparaissait.
Julia lui avait permis de rester à coucher. Elle était habituée à dormir seule mais, au fond, elle n'était pas mécontente d'avoir de la compagnie. Le soir, le secteur attirait tous les miséreux de la région, et ils étaient nombreux. Même des asociaux qui croupissaient en basse-ville s'aventuraient dans le quartier. Julia préférait ne pas savoir ce que ces gens recherchaient et s'arrangeait pour ne pas s'éterniser dehors à la nuit tombée.
Joseph n'avait nulle part où aller et n'avait pas l'air dangereux, juste un peu paumé. Un gosse de riche égaré chez les barbares. Elle-même n'avait pas eu la chance, comme Joseph, de dormir tous les soirs dans de la soie et de la dentelle. Ils avaient installé le matelas par terre. Il était immense et prenait presque toute la place. Ils s'y étaient allongés, Joseph et elle, chacun à une extrémité. Ils n'étaient pourtant pas si fatigués que ça, mais à part essayer de dormir, ils ne voyaient pas trop ce qu'ils auraient pu faire. Après avoir installé le matelas, Julia avait profité du moment où Joseph inspectait le maigre contenu de sa bibliothèque pour glisser un couteau sous son côté du lit. Elle croyait être assez douée pour évaluer les gens, mais préférait ne prendre aucun risque.
― Pourquoi couches-tu ici si tu as l'appartement de la concierge? Elle a peur que tu salisses son lit? lui demanda Joseph.
― Je suis allergique aux chats.
― Comment tu fais quand tu vas les nourrir, alors?
― Je mets un foulard et quand je n'en peux plus j'en couvre ma bouche et mon nez et je fais le plus vite possible.
― Et pourquoi avais-tu l'air si affamée tout à l'heure, si tu as accès à l'appart de la concierge?
― Je n'avais pas si faim que ça. C'est juste que, de la poutine de chez Grill Burger, j'aime ça mais ça coûte cher, alors je n'en mange pas souvent. Tu l'as eu où, cette bouffe?
― Dans la poubelle derrière le resto. Y'a des gens qui ne mangent leurs trucs qu'à moitié. Y'a qu'à se servir...
― Moi je n'oserais jamais faire ça... Le gardien m'a menacée avec son arme, une fois. T'as pas eu peur toi?
― Moi j'ai un truc...
― C'est quoi?
― Faut jamais demander leurs secrets aux magiciens!
« Bon, ça y est! Le voilà qui me vole mes répliques maintenant! » pensa Julia. Pire encore, il semblait pris d'un fou rire et n'avait pas l'air d'avoir l'intention de s'arrêter.
― Qu'esse qu'y a? Pourquoi tu ris de moi?
― Je m'excuse, réussit à dire Joseph entre deux accès d'hilarité. Je t'imagine entourée de sept matous et te battant contre des boîtes de conserve. Je dois être fatigué.
― Arrête de te foutre de moi! En plus, il faut que je ramasse les crottes de tous ces chats, et je te jure que sept minous, ça en fait...
C'était reparti! Joseph riait de plus belle, puis finit par se calmer un peu. Il lui dit « Demain j'irai t'aider, au moins pour les crottes... » et ça redémarra. « Pardon! il y a longtemps que je n'ai pas ri comme ça. Ça doit être le mot "crotte" qui ne passe pas. »
Julia, elle, restait calme, mais calme comme un volcan éteint. Elle demeurait parfaitement sérieuse, ce qui avait l'air de donner à Joseph encore plus le goût de se payer sa tête. Elle n'en avait pas envie, mais n'avait pas le choix de lui faire savoir quel risque il courait. Elle ne voulait laisser aucune ambigüité s'installer entre eux.
― Y'a autre chose qu'il faut clarifier, dit-elle.
Joseph reprit son souffle et sa respiration redevint presque normale, il regarda Julia et lui demanda « Quoi? »
― Si tu essaies de me violer, je te tue.
Là, il ne riait plus. Son fou rire cessa sur le champ. Il avait même l'air profondément choqué. « Pourquoi je ferais une chose pareille? »
― Pourquoi les gars violent-ils les filles, d'après toi?
― Et bien moi, je ne suis pas comme ça!
― Tant mieux pour toi, tu vas vivre une nuit de plus.
Il voyait qu'elle était sérieuse et lui lança « Tu n'es même pas mon genre, de toute façon! »
― Parce que si j'étais ton genre, tu me violerais?
― Bien sûr que non. C'est quoi ce délire! Je ne te violerais pas même si t'étais la dernière fille vivante sur la planète. J'ai toujours respecté les femmes, moi.
― Et c'est quoi, ton genre?
― Des adultes, pas des gamines comme toi, je ne suis pas pédophile.
― Explique-moi donc comment t'intéresser à des filles de ton âge ferait de toi un pédophile. Et puis quoi, tu préfères celles de dix-huit ans, c'est ça?
― Plus vieilles que ça, des adultes. Celle que j'aime doit bien avoir quarante ans.
― Quoi? Tu fantasmes sur les grands-mères! Je peux pas le croire... Et toi, ça t'amuserait d'être la victime d'une pédophile? Vraiment?
― C'est ça que tu penses de moi? Et puis, qui dit que je serais victime? Celle qui m'intéresse, au moins, elle me traite comme un homme.
― Alors, c'est ça! Il lui suffit de te faire croire que t'es un adulte, de te manipuler, et toi tu te laisses faire...
Il eut l'air de vouloir répliquer quelque chose, puis changea d'idée et s'allongea sur le côté, lui tournant le dos. Elle l'entendit grommeler « Tu ne me connais pas. Tu n'as pas le droit de me juger! »
*** Toutes les illustrations qui accompagnent ce roman ont été réalisées grâce à l'Intelligence Artificielle sur le site NightCafe Studio.
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La République des Miracles
Science-Fiction2070 : Une guerre nucléaire ravage la planète. 2121 : Dans la région de Québec, des survivants essaient de rebâtir une société à partir des ruines de l'ancienne. Mais les choses ne sont pas si simples... D'un côté, des catholiques traditionalistes...