Joseph avait attendu jusqu'à la dernière minute pour descendre rejoindre sa famille. Sa mère avait constaté sa présence alors qu'elle bavardait avec ses amies. Choisissant la dérision plutôt que l'affrontement, elle s'exclama « Tiens! Le grand ermite a finalement décidé de descendre rejoindre le commun des mortels! » Joseph pouvait malgré tout deviner, au ton de sa voix et à l'éclat dans ses yeux, toute la colère qui bouillait en elle.
Son père, lui, venait de s'isoler dans son bureau avec ses collègues de la Garde. Joseph avait au moins réussi à éviter les regards faussement sévères qu'il n'aurait pas hésité à lancer vers lui. Au sujet de cet homme, d'ailleurs, son jugement était sans appel : il n'était qu'un lâche, un colonel de pacotille juste bon à parader devant une foule lobotomisée le jour de la Fête-Dieu, mais incapable de tenir tête à sa femme dès qu'il rentrait à la maison.
Au moment précis où il pénétrait dans le salon, on sonna à la porte et il alla ouvrir. C'était son oncle, le père Mathias, un frère de sa mère et haut responsable de la Congrégation de Québec pour la Doctrine de la Foi, qui dès son arrivée s'écria « Mais d'où viennent toutes ces belles personnes? Je ne savais pas qu'il y avait autant de belles femmes à Québec! » Il s'attarda devant chacune d'entre elles, prenant son temps pour échanger des propos anodins à la limite de l'insignifiance, selon Joseph, puis s'emparant de leurs mains, trop heureux de les garder dans les siennes un peu plus longtemps que nécessaire...
Son père sortit de son bureau avec ses amis et tout le monde salua le nouvel arrivant. Profitant du brouhaha, Gabrielle, la mère de Lucie, s'avança vers Joseph. Elle commença par excuser sa fille de ne pas avoir pu venir au souper de ses parents, comme si ça avait une quelconque importance pour lui. Mais, afin de sauver les apparences, il marmonna un « Comme c'est dommage! » qu'il tenta de rendre le plus sincère possible. Puis, prenant les mains de Joseph dans les siennes, elle se pencha vers sa joue pour y déposer un chaste baiser, lui murmurant à l'oreille « Tu en as trouvé? » Il chuchota un « Oui » aussi discret qu'il en était capable, mais tout le monde était tellement occupé à ses salutations que personne n'avait pu les entendre.
Elle avait glissé discrètement entre ses doigts un bout de papier qu'il serra très fort. Aussitôt qu'il en eut l'occasion, il y jeta un coup d'œil à la dérobée et lut « Ce soir, même heure, même code ». Il le chiffonna et l'enfouit dans le fond de sa poche, se disant qu'il le ferait brûler plus tard dans sa chambre. Ne pas laisser de trace...
Puis, sa mère annonça qu'il était temps de passer à table et tout le monde se dirigea vers la salle à manger. Alors qu'il rejoignait sa place, il croisa le regard de Nan qui semblait l'interroger. Il demanda « Quoi? » Elle lui sourit, mais resta silencieuse. Il se souvint de sa capacité à percevoir des sons de très faible intensité, inaudibles pour les humains. Avait-elle, malgré toutes ses précautions, entendu leur bref échange? Mais qu'avait-elle pu en comprendre, de toute façon? Gabrielle ne lui avait posé qu'une question somme toute très imprécise, et sa réponse avait aussi été des plus vagues. Il ressentit le besoin de changer de sujet et lui parla de son travail sur le Petit Prince, qu'il avait pratiquement terminé.
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La République des Miracles
Science-Fiction2070 : Une guerre nucléaire ravage la planète. 2121 : Dans la région de Québec, des survivants essaient de rebâtir une société à partir des ruines de l'ancienne. Mais les choses ne sont pas si simples... D'un côté, des catholiques traditionalistes...