Arnaud hésitait, semblant chercher ses mots. Caitlin attendit qu'il lui explique ce qu'il avait trouvé. Au bout de quelques secondes, il se leva et dit seulement « Suis-moi! », puis il fila vers la pièce suivante. Caitlin le suivit avec peine. Ils traversèrent la cuisine, puis une salle familiale d'où un escalier s'enfonçait vers l'étage inférieur. Ils le prirent et aboutirent dans un salon, d'où partait un corridor.
― Ce passage mène aux chambres, dit Arnaud. Chaque membre de la famille avait la sienne avec salle de bain attenante. Je ne sais pas comment ce couple gagnait sa vie, mais ils ne manquaient de rien, crois-moi. Peut-être des industriels, ou des hauts fonctionnaires.
Arnaud s'arrêta devant une porte, l'ouvrit, entra, puis se plaça sur le côté pour que Caitlin pénètre à son tour dans la pièce. Ils étaient là, du moins ce qui restait d'eux. Les cadavres d'un homme et d'une femme, qu'elle supposa être le père et la mère de Morgane. Allongés sur le lit, vêtus de leurs pyjamas, leurs têtes reposant sur l'oreiller, leurs bras passés autour du cou l'un de l'autre. De leurs visages, il ne subsistait que des lambeaux de peau translucide tendus sur leurs crânes. Aux os de leurs membres restaient attachés quelques morceaux de chair qui, en se putréfiant, avaient souillé le lit et leurs vêtements de taches noirâtres.
― Mais où sont Morgane et Théo? demanda Caitlin.
― Je ne les ai pas trouvés, pourtant j'ai fait le tour des pièces.
Sur la table de nuit, une photo dans un cadre argenté attira son attention. Elle s'en saisit et la retourna. À l'arrière, quelques mots écrits au stylo. « Nadia, Bayard, Morgane et Théo Chemaly-Sirois. Au chalet, lac aux Bruants, août 2069 ».
La photo montrait la famille réunie devant la maison. On voyait à l'arrière-plan un bout de la galerie, un peu de gazon, quelques fleurs. Sur une couverture étendue à même le sol, le père, la mère et leurs enfants prenaient la pose. Au centre de l'image Nadia présentait un visage au teint mat, une chevelure noire encadrait des traits doux, mais volontaires. Des yeux sombres derrière des lunettes cerclées de noir lui donnaient une allure sévère, quoiqu'adoucie par un sourire bienveillant. Bayard, à sa gauche, mais légèrement en retrait, trentenaire quelque peu bedonnant au crâne dégarni, fixait l'objectif avec l'air de celui qui n'aime pas qu'on le photographie.
Assis entre les jambes de Nadia, Théo souriait de toutes ses dents, pendant que Morgane se tenait à la droite de sa mère. Les cheveux noirs comme les siens, les joues et le menton rougis par le soleil, elle braquait vers l'appareil photo un énorme fusil à eau en plastique vert.
Mais à qui souriaient-ils? À Nan, supposa Caitlin, leur femme de ménage qui devait manier l'appareil. Elle essaya de faire correspondre les visages insouciants qu'elle voyait sur la photo avec ceux des cadavres devant elle, mais rien à faire! Ça ne collait pas.
Au moins, elle savait maintenant à quoi ressemblaient Morgane et sa famille au quotidien, et pas sur de froides photos de passeport. Qu'est-ce qui pouvait expliquer l'absence des enfants? Pourquoi n'étaient-ils pas avec leurs parents?
― Je me serais attendue à une odeur épouvantable, dit-elle. Ça ne sent pratiquement rien, à peine un peu la poussière...
― Ça fait cinquante ans, tout de même, et ces cadavres-là m'ont l'air pas mal décomposés... On m'a raconté qu'avant l'Apocalypse, les gens bouffaient tellement d'agents de conservation et d'antibiotiques contenus dans leur nourriture que ça finissait par bloquer l'action des bactéries qui, normalement, s'occupent de putréfier les corps après leur mort... Mais je ne sais pas ce que ça vaut comme théorie!
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La République des Miracles
Science Fiction2070 : Une guerre nucléaire ravage la planète. 2121 : Dans la région de Québec, des survivants essaient de rebâtir une société à partir des ruines de l'ancienne. Mais les choses ne sont pas si simples... D'un côté, des catholiques traditionalistes...