Chapitre 35 où Joseph constate qu'on ne peut jouer à cache-cache avec un robot

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Joseph quitta l'appartement de bonne heure. Il avait plu toute la nuit et de furieux coups de vent avaient perturbé son sommeil, le réveillant en sursaut. À une occasion, il avait cru distinguer les yeux de Julia, tout grands ouverts, qui le fixaient de l'autre extrémité du matelas. Plongé dans les ténèbres que perçait à peine la lampe sur le bureau, il avait été incapable de savoir avec certitude si ce regard était réel ou s'il n'était que le fruit de son imagination. Il avait murmuré un timide « Est-ce que tu dors? », n'avait obtenu aucune réponse, puis s'était rendormi.

Ce matin, la ruelle était boueuse et de larges flaques d'eau parsemaient le sol. Julia était allée s'occuper des chats de sa concierge. Il l'avait accompagnée, comme il le lui avait promis, pour nettoyer les dégâts des félins. Ils en avaient profité pour déjeuner avec une pomme et une tranche de pain. Ils auraient bien pris un café d'orge, mais ni l'un ni l'autre ne savaient comment le préparer. Ils s'étaient contentés de verres remplis d'une eau jaunâtre.

Ils avaient beaucoup discuté la veille, Julia et lui, et ils n'étaient pas d'accord sur grand-chose. Mais il avait au moins compris pourquoi elle lui avait fait cette menace, qu'elle le tuerait s'il la violait. Ça lui était déjà arrivé. Un type pas mal plus vieux qu'elle l'avait agressée. Il n'avait pas voulu poser trop de questions et il n'était pas sûr qu'elle y aurait répondu de toute façon. Il considérait que ses histoires personnelles n'appartenaient qu'à elle. Comme les siennes ne concernaient que lui.

De toutes les confidences qu'il lui avait faites, celle concernant ses fantasmes sur les femmes mûres avait reçu l'accueil le plus froid, un scepticisme mêlé d'incompréhension. Il lui avait laissé entendre qu'il était allé plus loin, qu'il était passé à l'acte. Juste parce que ça le gênait d'avouer qu'au dernier moment, il s'était dégonflé! Elle avait eu l'air de le croire et, pour l'instant, ça lui suffisait. Il commençait à se demander s'il ne serait pas préférable, éventuellement, de lui avouer la vérité quand une voix retentit derrière lui.

― Joseph!

Il sursauta. Il ne s'attendait pas à se faire appeler par son nom et encore moins à reconnaître cette voix. Il se retourna et se retrouva en face de Nan! S'enfuir ne servirait à rien, elle le rattraperait en quelques secondes. Vêtue d'un imperméable noir, elle n'était qu'à trois mètres de lui et lui souriait.

― Comment m'as-tu trouvé?

― Je t'ai vu hier en compagnie d'une jeune humaine. Je t'ai suivi jusqu'ici, puis je t'ai attendu.

― Laisse-moi, Nan!

― Tu dois revenir à la maison, Joseph. Tes parents sont morts d'inquiétude.

― C'est hors de question. Pas après ce qui s'est passé l'autre soir. Pas après ce que j'ai vu. Retournes-y, si tu veux. Lisbeth va avoir besoin de toi.

― Peut-être as-tu mal interprété ce qui s'est passé? Aimerais-tu qu'on en parle?

Ils s'installèrent sous un balcon qui communiquait avec un logement inhabité, comme en témoignaient les nombreuses fenêtres brisées qui laissaient entrevoir un appartement déserté au sol jonché de débris. Joseph n'avait pas beaucoup d'autres choix que d'expliquer à Nan pourquoi il était hors de question qu'il rentre chez lui.

― Je revenais de chez... je veux dire de ma promenade, je ne sais plus trop quelle heure il était, quelque chose comme une heure du matin. J'étais certain de ne voir personne à cette heure-là, alors je suis allé à l'arrière de la maison, pour remonter dans l'échelle. Je venais tout juste d'atteindre le toit. Je m'apprêtais à ouvrir la fenêtre pour regagner ma chambre, quand j'ai entendu des gars parler et sortir sur la galerie, en bas. Ils étaient un peu ivres et s'engueulaient, en fait. J'ai jeté un coup d'œil et j'ai reconnu les officiers qui étaient venus souper à la maison. Mon père était là aussi, il essayait de les calmer. Moi, j'étais sur le toit et je n'osais pas bouger ou faire le moindre bruit. Il leur aurait suffi de lever la tête et ils m'auraient vu.

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