Chapitre 47, dans lequel Arnaud rencontre celle par qui le scandale arrive

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C'était l'aube. Des traînées de brouillard s'effilochaient, s'accrochant encore aux bâtiments délabrés des alentours. Le sanctuaire, maintenant déserté, baignait dans une lumière grise et blafarde. Arnaud venait d'apprendre la nouvelle de la disparition de la dépouille de Maëlle. Jusque-là, des soldats avaient gardé le bâtiment et empêché les fidèles, devenus rares, d'approcher. En plein milieu de la nuit, sans personne pour les surveiller, ils avaient pu prendre tout leur temps pour charger le corps dans leur véhicule et quitter les lieux. En cinq minutes, c'était réglé. Il ne restait plus rien, à part les barrières métalliques qui avaient servi à contenir la foule.

― Ils ont mis le cadavre dans un sac qu'ils ont lancé dans le camion, puis ils ont sacré leur camp. Ils sont même partis avec le panier dans lequel les pèlerins déposaient une aumône. Ils n'ont rien laissé...

Le gars qui s'adressait à Arnaud habitait dans le coin. Il venait tous les jours se promener avec son chien, la carabine en bandoulière. Il lui affirma qu'il allait mieux depuis qu'il priait sainte Maëlle tous les jours et qu'il ne comprenait pas pourquoi tant de gens n'y croyaient plus.

Arnaud lui rappela l'histoire du parfum, que l'odeur de sainteté n'était qu'une imposture, une arnaque destinée à berner les gogos. Il répondit qu'il s'en foutait, que « cette sainte-là, elle est correcte, elle fait du bien ». Il repartit avec son chien, en boitillant.

Arnaud aurait aimé reparler avec le père Mathias. Qu'il lui explique pourquoi il avait organisé cette supercherie, quel intérêt il avait eu à faire passer cette fille pour une sainte. Il était venu à la morgue quelques minutes après qu'on y eut déposé le corps. En l'aspergeant de parfum, il n'avait réussi qu'à mettre en marche une mécanique risquée. Ou bien il n'arrivait rien, ou bien des gens allaient commencer à vénérer la dépouille de Maëlle. Ce qui aurait pour résultat d'empêcher le pathologiste de procéder à l'autopsie...

C'était peut-être juste ça qu'il voulait, s'assurer que le cadavre ne livrerait pas ses secrets. Créer de toute pièce un « miracle » tel que personne n'oserait toucher à un seul cheveu de Maëlle, sous peine de se faire lapider par une foule en colère. Il ne pouvait pas savoir que cette autopsie n'aurait certainement jamais lieu de toute façon, le corps s'étant retrouvé là par erreur.

Il imagina le père Mathias, apprenant que le cadavre de Maëlle reposait sur une civière à la morgue, puis se saisissant du premier flacon de parfum qui lui tombait sous la main. Ensuite, se dépêchant d'aller en répandre sur la dépouille, donnant ainsi naissance à une nouvelle étoile au firmament des Saints.

De quoi avait-il eu peur? Le pathologiste aurait-il découvert les preuves d'un viol? Des résidus d'ADN qui auraient permis de désigner un coupable? Mais qui donc le prêtre essayait-il de protéger ainsi? Malheureusement, Arnaud ne pouvait pas aller présenter son hypothèse au principal intéressé ni lui poser ses questions, le Vieux-Québec lui étant devenu inaccessible à cause des manifestations contre l'emprisonnement de Joseph.

― Salut!

Julia s'approchait, accompagnée de Nadine Bourlamaque. Les deux avançaient d'un pas assuré, chacune portant une arme en évidence à sa ceinture.

― Tiens, tiens! dit Arnaud, vous êtes matinales.

― Nous avons entendu la rumeur et nous voulions constater de nos propres yeux ce qu'il en est, répondit Nadine.

― Il n'y a plus grand-chose à voir. Comme vous voyez, ils ont tout ramassé.

― Ouais, lui répondit Julia. Quand Nadine m'a parlé de ça, ce matin, je ne l'ai pas crue. Mais d'après elle, ils n'ont pas tellement le choix d'essayer d'étouffer l'affaire...

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