Chapitre 15, dans lequel Aliénor cherche à se débarrasser de quelques filous

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Sur la table à manger au fond de la yourte, deux chandelles répandaient une lueur vacillante. Aliénor, assise devant une tisane de baie de sureau essayait de calmer sa colère et ses maux de dos après une nuit blanche. Elle n'avait pas cessé de tourner et retourner la question dans tous les sens, sans réussir toutefois à trouver une solution rapide et définitive à son problème.

― Vois-tu, Paul, je cherche un moyen d'obliger ces rats à sortir de leur trou, rapidement, mais sans leur faire de mal. Je me fiche de ce qui leur arrivera une fois qu'ils seront partis. Je veux juste qu'ils foutent le camp. C'est ce qu'on va trouver là-dessous qui m'intéresse.

― Je vois. Mais, dis-moi Aliénor, à quoi t'attends-tu de ma part?

Elle avait appelé à sa rescousse Paul, son cousin, car il était toujours de bon conseil. La nuit avait été pénible après une journée épuisante, et elle n'aurait pas la patience d'endurer ça encore longtemps. Ces idiots au fond de leur abri exigeaient qu'elle satisfasse au moindre de leurs caprices, lui ordonnaient de répondre à leurs injonctions, lui balançaient des ultimatums. De quel droit venaient-ils sur ses terres s'approprier ses biens? Elle recherchait déjà ce bunker à l'époque où ces fripouilles puantes tétaient encore les seins de leurs mères. Elle n'allait pas les laisser la dépouiller sans réagir, tout de même!

― À quoi je m'attends de ta part? À des conseils, seulement des conseils. Et aussi que tu m'informes de l'état de notre réserve d'explosifs. Je me demandais ce qui arriverait si nous dynamitions l'entrée de ce bunker.

― Et comment est-ce qu'on s'y rend, dans ce trou à rats?

― C'est au fond d'un puits. Les rats sont protégés par une porte d'une solidité impressionnante!

― D'une épaisseur de combien, d'après toi?

― Je n'en ai aucune idée.

― J'imagine qu'on y accède par un escalier. En connais-tu au moins la solidité?

― Difficile de le savoir...

― En bois ou en métal?

― Aluminium, je dirais.

― Ça pourrait marcher, bien sûr. Comme ça pourrait avoir l'effet de détruire le seul accès que tu as à ce refuge, tout en éraflant à peine la porte elle-même. Et la sortie de secours?

― On la surveille. Elle m'a l'air aussi solide que l'entrée principale.

Paul resta quelques instants silencieux. Aliénor devinait quelle serait sa recommandation. Son cousin n'avait rien d'un aventurier.

― Je te déconseille de gaspiller nos rares explosifs pour un projet aussi hasardeux, dit-il finalement. D'autant plus que tu n'as aucune idée de ce que contient ce bunker. Est-ce que ça en vaut seulement la peine?­­­

― Je n'ai aucune certitude sur ce qu'on peut espérer trouver là-dedans, je sais juste qu'il abritait une des familles les plus aisées de l'époque. Alors on peut penser que ces gens avaient les moyens de se payer un abri... confortable, disons! Mais tu sembles croire que notre réserve d'explosifs n'est pas optimale?

― On n'en a presque plus! C'est ça la vérité! Mais ce n'est pas tout. Certains prétendent que tu n'es plus à la hauteur pour nous diriger. Ils s'insurgent à l'idée que, sur un coup de tête, tu aies entraîné dix de nos meilleurs jeunes dans ce projet d'invasion d'un bunker, projet qu'ils jugent insensé et dont ils ne voient pas l'utilité. Il faudrait parler au Conseil de famille...

― Je n'en ai pas le temps. Crois-tu que j'aie fait exprès de choisir ce moment?

― ... ou au moins, nous rassurer, nous garantir que tout ça va se régler bientôt. On a le poulailler à reconstruire. Un puits à creuser. Le vieux est presque à sec... Ça prend des bras pour ça. Il ne faut pas attendre au mois de juin pour s'attaquer à ces travaux. Si l'été qui vient est aussi caniculaire que celui de l'an passé, on ne va pas y arriver. Mais je suis certain que tu sais déjà tout ça. Tu prendras la meilleure décision.

Paul se leva, salua Aliénor, reboutonna le col de sa parka puis ressortit dans l'air froid du matin.

« Comme ça on parle dans mon dos, pensa Aliénor. On critique ma gestion du village. » Ça n'était pas nouveau. En fait, ça durait depuis toujours et la meilleure chose à faire, la seule chose valable selon elle, c'était de prouver à ses détracteurs qu'ils avaient tort. Elle reporta donc son attention sur le problème du bunker. Elle en arriva à la conclusion que l'important n'était pas de dynamiter cette porte, mais que ceux d'en bas pensent qu'elle était assez folle pour le faire.

Elle fit entrer Anna, qui avait gardé l'entrée de sa yourte toute la nuit, et la chargea de rassembler quelques-unes de ses cousines afin de fabriquer à la hâte quelques faux bâtons de dynamite. 

Deux heures plus tard, avec Philibert, ses deux gardes du corps de la veille et un chargement de simili pétards dont la peinture rouge finissait à peine de sécher, elle repartait pour la maison du lac

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Deux heures plus tard, avec Philibert, ses deux gardes du corps de la veille et un chargement de simili pétards dont la peinture rouge finissait à peine de sécher, elle repartait pour la maison du lac. Philibert et ses deux cousins n'aimaient pas trop l'idée de se trimballer avec autant d'explosifs, aussi elle leur expliqua son plan.

Elle insista sur le fait qu'ils ne devaient pas faire savoir au reste de la troupe, restée là-bas à faire le guet, que toute cette dynamite était bidon et sans danger, destinée seulement à tromper les intrus planqués dans le bunker. Plus ils la croiraient authentique, plus ils la manieraient avec précaution, plus l'illusion serait crédible. Cette idée les amusa beaucoup et c'est le cœur léger qu'ils se mirent en route vers le village.

La matinée était plus fraîche que celle de la veille. Elle fut donc heureuse de constater, à son arrivée au lac, que les jeunes avaient fait un feu dans la cheminée, qu'ils alimentaient avec du bois arraché au plancher du salon. Au moins, dans cette pièce, il régnait une certaine chaleur. Elle demanda à ses aides d'y déposer les victuailles et les thermos de tisane destinés à nourrir sa vaillante troupe.

Mais lorsqu'ils virent les deux caisses de dynamite, certains prirent peur. Elle ne fit rien pour les rassurer et ses accompagnateurs du matin, Philibert et ses deux cousins, jouèrent le jeu à la perfection en multipliant les précautions et les mises en garde. Ils placèrent les caisses, reliées ensemble par des fils,au pied de l'escalier, près de la porte du bunker, et laissèrent courir un autre fil jusqu'au palier où ils s'installèrent. Elle espérait bien que les canailles d'en dessous ne perdaient rien de leur pièce de théâtre improvisée.

*** Toutes les illustrations qui accompagnent ce roman ont été réalisées grâce à l'Intelligence Artificielle sur le site NightCafe Studio.

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