Chapitre 22

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Sara tremblait devant l'écran géant. Elle ne pouvait qu'entendre le son de ses dents qui claquaient. Ses doigts étaient tellement serrés contre ses paumes qu'ils rentraient dans sa chair. Du sang goutta rapidement sur le sol. Personne ne s'en rendit compte, pas même elle. Tout le monde fixait l'écran géant et ce qu'il affichait au-delà.

De loin et de plusieurs angles répartis de tous côtés, des caméras fixes filmaient en direct une une scène lugubre sous un ciel menaçant. Des projecteurs braqués dans la nuit éclairaient un disque de plusieurs mètres à la limite d'un tracé sur le sol : une ligne jaune fluorescente peinte à même la terre.

Quelque part devant Sara, le général donna l'ordre de rétablir le son et d'un clic, un brouhaha titanesque emplit la salle par les haut-parleurs. Le battement de la sphère avait repris. Le code-objet-1 était, selon les rapports, resté à l'arrêt depuis plusieurs jours, ne se déclenchant qu'à l'approche de sa nourriture. Les caméras se tenaient loin du cratère d'impact, mais Sara devinait, ou plutôt connaissait, l'état de la zone, sa désolation.

Une autre caméra dont le son était coupé se greffa sur l'écran géant, celle-ci en mouvement. On apercevait le mouvement des pales et on devinait qu'il s'agissait d'un hélicoptère. Le véhicule atterrit avec une prudence exagérée au loin du périmètre jaune et on vit passer devant la caméra une série de drones motorisés. Une protrusion sur le dessus de leur coque révélait un tube creux duquel dépassait un pieu gris.

Un murmure traversa la pièce par les oreillettes que portaient les officiers, mais Sara n'en entendit rien, trop préoccupée à fixer ces pieux qu'elle avait conçu.

« Feu. » annonça le général. Sara trembla plus violemment encore. Les mortiers firent feu et dans la nuit, on ne put suivre la trajectoire des projectiles. Ils disparurent dans l'ombre, comme téléportés, pour ne réapparaître qu'une fois au contact du sol dans la zone éclairée. Deux pieux se percutèrent en plein vol et trois se brisèrent à l'impact, arrosant la zone de feu d'un nuage de poussière vite dispersé.

Sara n'entendit plus un son. C'était comme si son corps refusait d'écouter ou comme si le monde entier retenait sa respiration.

Les pieux détruits en vol filèrent vers la sphère, disparurent à jamais.

Seize pieux filèrent comme des missiles balistiques vers la sphère, avalés par l'astre noir.

Un battement plus fort encore fit résonner toutes les caméras au loin.

Et les deux derniers pieux restèrent droits comme des « i », plantés dans le sol avec toute la ferveur de ceux qui les avait construit, insensibles aux charmes de leur ennemi.

*

Léon se réveilla à son bureau. Sa tête lui faisait affreusement mal, un battement sourd frappait l'intérieur de son crane et une migraine assaillait ses sens. Il se redressa avec difficulté et chercha des yeux la fillette qui l'avais tué. Lui ? Elle ne l'avait pas tué, lui. Léon était dans le bureau de Don à présent. Pourquoi avait-il rêvé si férocement du bureau d'Adama ? Il finit par atteindre des yeux la photographie de Suzie Meyers sur le haut de son dossier : elle ne souriait plus. Elle semblait même ne plus bouger du tout.

« Sauve-moi. »

L'odeur du tabac était toujours présente elle aussi. Léon se leva et se posta au-dessus du cendrier. Il était plein d'une eau noirâtre et une cigarette trônait au fond comme un trésor englouti. Il la regarda attentivement pendant qu'elle se consumait. Un feu alcalin s'y développait, faisait bouillir l'eau dans la soucoupe en verre sans que le liquide ne le gêne. Pour une raison inconnue, Léon trouva une ressemblance entre la jeune fille et ce mégot qui combattait les marées. La cigarette s'éteignit, sa lueur disparut et il pensa alors que c'en était fini d'elle.

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