La Sphère

Chapitre 36

« Suite à l'attaque perpétrée le [code-date-7K-3] dans les périmètres suivants : +information retirée du compte-rendu+, ainsi qu'en +information retirée du compte-rendu+, le programme Sentinelle annonce plus de +information retirée du compte-rendu+ pertes civiles et +information retirée du compte-rendu+ pertes au sein des forces armées. La direction du programme Sentinelle annonce une prise de mesures de sécurité drastique sur les sujets atteints des symptômes psychiques même les plus discrets au sein du personnel. Des cas comme celui du [code-sujet-2] ne peuvent être tolérés. Les analyses biologiques et psychiatriques du [code-sujet-2] indiquaient d'un retour à la normale après plus de dix-huit mois de léthargie. Plus de dix-sept soldats et Sentinelles auraient été atteints du syndrome d'Apripha. Leur catatonie de très longue durée, leur absence de réaction n'aurait été qu'une vaste phase de prise de conscience. Les [code-apripha-2-17] ont été arrêtés et placés en isolement sous haute surveillance. Leurs médecins traitants et spécialistes ont été eux aussi placés sous surveillance. Le programme Sentinelle a indiqué en avoir +information retirée du compte-rendu+. Les décisionnaires ont préféré écraser toute chance d'aggravation des [code-apripha-2-17] avant leur « activation ». »

*

Léon se releva avec l'intime conviction que le journal d'Ernest Bale lui révélerait ses mystères, de gré ou de force. Il se posta à la fenêtre et observa la rue en contrebas. Les murs gris et sales, les façades austères et les lueurs maladives des lampadaires habillaient le quartier d'une impression d'immobilité. Comme tous les soirs, le brouillard avait envahi la ville et seul celui-ci parut doué de vie. Léon se demanda si la ville elle-même n'était pas morte, si tous ses habitants n'étaient pas plus qu'un tas de souvenirs informes qu'il pensait croiser et contempler. Seul la brume parut douée de vie.

Le détective leva les mains et baissa les yeux. Il ne vit que ses paumes décharnées, couvertes de sang. Ses avant-bras étaient tellement coupés qu'il crut lire dans ses blessures les mêmes escarres que le Seduerme que Bale lui décrivait. Léon prit le journal sur le bureau et le rouvrit à une page au hasard. Ces choses qui lui semblaient avoir des noms n'en avait plus. Ces gens qui semblaient être, n'étaient plus. Où avait-il lu ça ? Il se le demanda alors qu'il tournait la phrase dans sa tête : « Les morts n'ont pas besoin de nom. »

Dans l'armoire à pharmacie, Léon dénicha plusieurs rouleaux de bandages, de l'alcool à désinfecter ainsi que quelques anti-douleurs. Le détective était persuadé d'avoir vidé l'étagère de ses substances quelques semaines plus tôt, mais il apparut que Don avait des stocks impressionnants de Codéine et autres analgésiques. Les mains bandées dans un cocon de tissu stérilisé, il lui sembla que le monde prit une autre teinte. Le gris maladif se superposa aux maintes teintes de rouge qui habillaient encore le bureau de Don. Léon grimaça. Il ne s'était jamais vraiment rendu compte de la couleur du papier peint, pas plus qu'il ne s'était rendu compte qu'un escalier, dans le salon, donnait maintenant vers le plafond.

Léon traversa l'appartement d'un bout à l'autre. Il évita soigneusement l'horloge dont le cadran fondit à chaque pas, ainsi que les visages qui s'étalaient aux fenêtres loin de lui. Il ne put les voir puisqu'il ne les regardait plus, mais les choses au-dehors, les pauvres hères qui titubaient sans but autour d'une baignoire fantasmagorique l'attendaient. Leurs visages hésitants fixaient encore là où le visage du détective apparut quelques fois avant de disparaître de nouveau.

Il ne les vit plus, mais il savait que dès le lendemain, il irait à leur rencontre. Il savait que dès le lendemain, il devrait se mettre en chasse.

Un sédatif lui permit enfin de dormir convenablement et Léon se réveilla dans un bureau bien plus ordonné, bien moins inondé et surtout bien plus réel que celui dans lequel il s'était endormi quelques jours plus tôt.