Chapitre 33

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Étienne prit le dossier des mains du détective et l'ouvrit maladroitement, tremblant d'émotion. Il sortit précautionneusement les photographies de la pochette et les montra une à une à Léon. Il y en avait tant.

-Ce sont tous nos amis. Et ils ont disparu un à un. Philippe en avait parlé à Don mais quand il me l'a dit, il était agité. C'était comme si tout allait de travers dans cette ville, comme si tous les malheurs du monde venaient de s'abattre sur chacun. C'est Philippe qui a conseillé à Don de vous appeler à l'aide. Il ne voulait pas trop insister car le vieux était perturbé. Il n'y avait pas que des gens comme nous qui s'évanouissaient dans la nature, il y avait de jeunes gens, des enfants.
-Mais Don n'est plus là...
-Et Philippe non plus, continua Étienne. Et je suis seul, Léon, et j'ai si peur.

Le sans-abri réprima un tremblement. Il avait les yeux rouges. Il s'en alla vers la fenêtre et observa l'extérieur. Léon ne vit plus son visage mais l'entendit distinctement pleurer. Il n'y a pas que moi qui souffre, se dit-il. Mais je doute qu'il voie ce que moi je vois. J'espère qu'il ne voit rien. Léon s'approcha de lui et posa une main sur son épaule. Étienne sursauta puis haleta quelques secondes. Son corps était si chaud alors que Léon, lui, avait si froid.

Léon jeta un regard dans la rue en contrebas. Son attention virevolta entre les bâtiments, fouilla les trottoirs sans rien trouver. La lumière déclinante du crépuscule s'agita d'un soubresaut et les phares au loin s'animèrent d'une vive colère. Leurs lanternes cherchant Léon avec hardeur. Il en avait presque oublié ces choses qui l'attendaient au dehors. Comme pour répondre à cette pensée, Léon réalisa que la rue grouillait en fait de gens. Comment ne les avait-il pas vu avant ? Comment se cachaient-ils en plein jour, en pleine rue ? Sous son œil vigilant, tant de mystères restaient sans réponse.

*

X
10 Août xXXx.

Je demandais à XxxXlX des nouvelles de notre nouvel arrivant qui depuis une semaine environ peinait à se réveiller de ses cauchemars marins. Je ne le blâmai pas, j'eus surtout de l'empathie pour ce pauvre hère que nous avions repêché, volé à sa mort.

Je trouvai justement mon quartier-maître attablé avec le revenant. Assis devant une assiette copieuse et un verre d'eau rempli, immaculé, le latino-américain au nom inconnu mangeait avec délicatesse.

-Bonjour Capitaine, me dit XxxXlX. On n'a pas encore son nom, on ne sait pas encore exactement quelle langue il parle.
-Laissez-le manger, boire et se reposer, les questions viendront ensuite.

Je vis sous une chemise propre, qui devait appartenir à un membre d'équipage ou à feu xXXxX, les coupures longilignes serpenter sur sa peau brune. Cette vue me révulsa.

-DomXxique, vous avez pu faire quelque chose pour ces coupures ? Je me souviens les avoir pointé du doigt avec dégoût. Je ne sais ce qu'elles évoquaient chez moi pour tant me répugner.

DomXxique s'était rapproché de moi, me parlait à demi-mot, tournant le dos au nouveau venu et à XxxXlX. Il me chuchota dans l'oreille : « Non, mon capitaine. Elles ne veulent pas guérir. Je les ai nettoyées et pansées quand on l'a installé dans mon cabinet, mais après les avoir changées de bandages plusieurs fois, je ne leur vois aucune amélioration. Elles ne s'infectent pas, ne cicatrisent pas non plus. Ces marques sont à vif. Pareil pour une marque de brûlure autour de son cou, là où son collier a dû frotter. »

J'eus un frisson terrible, le poids d'un regard mauvais qui se fixait dans mon dos, remontait jusqu'à ma nuque. Je sentis mes poils se hérisser. Moi aussi, en mon temps, à mon heure, j'eus cette impression vivace que c'était la mort que j'avais en face de moi. Ma faim eut pris une drôle de forme, celle d'une main qui se tend vers moi, qui me relève, qui me sourit et qui m'aide. Pourquoi me sentis-je si reconnaissant d'être entraîné vers ma fin ? Un bruit dans mon dos m'inquiéta, un appel, une voix. Je ne compris pas les mots qui tonnèrent dans le silence de la pluie, j'avais seulement si faim que le froid ne fit que m'endormir d'avantage. On me parla de chaleur, de douceur et de réconfort. Comment faire pour ne pas sombrer alors ?

La SphèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant