Chapitre 29

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 Léon patienta une heure, devant l'hôpital, le temps que le soleil eusse fini de se lever. Une aube froide et hésitante transparaissait difficilement derrière des nuages toujours plus gris. Comme un clocher qui sonne le début de la journée, le fossoyeur ouvrit le lourd portail menant au cimetière Sainte-Cécile qui s'étalait en contrebas de l'hôpital éponyme. Léon jeta un œil distrait à cette figure cambrée, sombre, qui entamait son travail. Il attendit que celui-ci ait disparu pour se glisser à l'intérieur sans un bruit.

Quelques minutes lui suffirent pour trouver un tombeau, celui d'une personne dont Léon n'avait entendu parler qu'à demi-mot : Céline Periap, la femme de Don. De ce qu'il en savait, le vieux détective l'avait rencontrée dans cette ville et leur relation avait toujours eu un côté quelque peu mystique. Céline était une femme de nature discrète, humble mais remarquablement intelligente. Le père de Léon, Albert, plaisantait souvent de l'étrangeté de leur relation amoureuse : rien ne les rapprochait, mais force était de constater qu'ils se sont aimés jusqu'à ce que la mort les sépare. Un soir, Don avait bu plus que de coutume, et, l'anniversaire de la mort de sa femme approchant, il avait révélé quelques unes de ses anecdotes la concernant.

« Elle m'a toujours dit que cette ville la retenait prisonnière, lui demandait de rester ici. Je l'ai prise pour une folle pendant de nombreuses années, mais j'ai respecté son choix. Avec le temps, j'ai fini par me dire qu'elle avait raison, qu'elle était vraiment prisonnière de cette ville. Il y a quelque chose dans ces rues, dans ces lueurs matinales et nocturnes qui font que l'on ne veut plus en partir, on n'y est pas bien, on ne l'est jamais, mais cette sensation de faire partie de quelque chose de plus grand la saisissait. Elle a toujours été croyante et c'est dans sa foi qu'elle a trouvé sa voie. Ça ne l'a pas sauvée. »

Une autre fois, une autre année, alors que Léon venait en visite, Don lui a demandé de l'accompagner au cimetière. Arrivés devant une tombe d'une grande simplicité, le détective lui avait dit « Et regarde où ça l'a menée. ». Sur la pierre, Léon lut le nom de Céline Periap.

Léon se mit à genoux devant la stèle et sortit tout d'abord un outil ressemblant à un tournevis. Il gratta la pierre pendant près d'une heure avant de poser une petite boite en bois qui traînait dans le cabinet. Il l'ouvrit et y glissa la photo de Don et de son père à leur première enquête résolue.

-Je peux pas faire mieux que ça, Don, tu m'excuseras.

Léon repartit comme il était venu, en fantôme, en laissant sur la tombe de Céline un autre nom, celui de Don Paolo Periap : un mari, un ami et un mentor. Au moins, pensa-t-il, vous êtes réunis.

*

Avec les trois lignes tracées au sol, respectivement jaune, orange et rouge, ils avaient défini des périmètres de danger. Plus on se rapprochait du code-objet-1, plus l'attraction serait forte en cas de réveil. Les périodes d'inactivité, ou d'accalmie du code-objet-1 intriguaient et même inquiétaient le monde entier. Pourquoi la Sphère s'éveillait-elle de temps à autre ? Au début du chantier de construction, elle avait émis une série de pulsations terrifiantes, mais devant l'incapacité qu'elle avait à absorber le béton T-734, elle s'était arrêtée, résignée.

Sara observait les plans de construction du dôme qui devait couvrir le code-objet-1. Des segments de murs avaient été produits en avance et plantés dans le sol à des distances de plus en plus courtes du cratère d'impact. Ils avaient avancé pas à pas vers l'astre, grappillant comme dans une guerre de tranchée, le moindre mètre qu'ils pouvaient conquérir, reconquérir. Les engins de construction, harnachés par des blocs au moins aussi imposants de T-734 creusaient la terre et y enfonçaient les fondations des différents murs.

La Sphère est restée silencieuse tout du long. Elle n'émit pas une seule pulsation pendant les trois mois qu'il fallut pour l'enfermer. Sara se figura la ligne rouge parcourant le contour de son dôme comme un garrot autour d'une plaie. Elle la sentit se refermer, se serrer contre sa gorge, l'air lui manqua. Les satellites destinés à la surveillance h24 du code-objet-1 n'entendirent qu'un faible soupir lorsque, comme une clef de voûte, le dernier bloc s'encastra dans le dôme. Il n'y avait même pas de porte. Ils avaient construit un tombeau, ils avaient scellé un dieu.

La SphèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant