Chapitre 50

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Ses yeux ne purent lâcher les mouvements de sa main, de sa propre main. La douleur l'assaillit comme un millier d'aiguilles plantés sur tout son corps à l'exception de son bras. Sara se vit en train de dessiner, consciente et inconsciente de ce qu'il se passait, de ce que son corps tentait de faire.

-Combien de temps... depuis combien de temps est-ce que mon bras fait ça ?
-Professeur Landouse, vous avez été dans le coma pendant près de trois semaines. Votre état a tant empiré qu'on a pensé vous débrancher. C'est à ce moment-là que votre main s'est mise à... faire des gestes. C'est du jamais vu. Un des infirmiers vous a décrite, la forme de la pince de vos doigts, les mouvements de votre poignet. On n'a eu qu'à placer un stylo entre vos doigts et une feuille dessous. Vous avez dessiné en dormant presque six cent pages de plans et de calculs.
-Des calculs, s'interloqua Sara en s'étouffant presque. J'ai fait des calculs en dormant ? C'est plus que de la mémoire musculaire.
-Je ne sais pas, professeur, je suis désolé. Je vais devoir vous laisser, je repasserais dans la soirée.
-Merci docteur.

Trois jours qu'elle était réveillée. Trois jours qu'elle était sortie de son coma. La chute lui avait pris ses jambes, la noradrénaline avait pris une lourde taxe sur le reste de son corps. Sara soupira et pleura. Sans ça elle serait morte dix fois, tombée aux mains des cultistes ou de leurs choses délirantes et infâmes. Sans ça, se dit-elle, sans avoir été guidée dans le labyrinthe de couloirs de la caserne, je serais morte aussi. Elle se demanda si l'entité qui l'avait sauvée, orientée, guidée l'avait vraiment amenée à une fenêtre pour qu'elle en saute. Elle se souvint de la sensation d'extrême douceur, la plénitude qu'elle avait ressenti en s'approchant du verre, la chaleur du soleil au-travers de la vitre. Elle se rappela qu'alors il faisait nuit. Sara se mit à douter d'elle, de ce guide, du reste.

Elle repensa aux choses, aux spectres qu'elle avait vu dans le reflet de l'eau qui inondait le dortoir. Elle repensa au professeur Sémille, son collègue et ami, à la balle qu'il restait dans son pistolet qu'elle avait refusé d'utiliser pour lui épargner plus de souffrances. Elle repensa à la mort de tant et tant de gens, à l'horreur des choses qui se nourrissaient des corps de tous ces innocents. Sara pleura. Elle pleura longtemps, sans s'arrêter, jusqu'à ce que ses yeux refusent de cracher d'autres larmes. Elle avait pleuré la mort de son père de longues années auparavant, celle de sa sœur si peu de temps auparavant, celle du mari et de l'enfant de Lola quelques mois avant seulement. Elle pleurerait encore tout autant.

-Bonjour professeur Landouse, s'annonça un officier en rentrant dans la chambre d'hôpital. Navré de vous déranger pendant votre rémission, mais je tenais à vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour le projet Sentinelle. Le béton Landouse a protégé nos infrastructures et nos vies pendant plus de six ans. Le nouveau projet Labyrinthe sera la clef de voûte de notre survie, de notre victoire contre le code-objet-1. Les plans que vous avez dessiné marquent l'avènement d'une nouvelle ère, une ère dans laquelle nous serons en contrôle.

Jusque-là, son bras, sa main, s'agitaient toujours, dansaient, dessinaient comme si de rien n'était, comme si c'était sa conscience qui le lui dictait. Ensuite, Sara ferma les yeux, ne dit plus rien, pleura. Dans son autre main, celle que son corps avait décidé de lui laisser, elle s'imagina le pistolet qu'elle avait ramassé. Il n'y avait plus rien d'autre que ce souvenir de l'arme, des balles qu'elle avait gardée. Elle l'imagina si fort qu'elle se persuada en être armée. Sara pleura jusqu'à ses dernières larmes, dévastée par l'image de sa main en train de danser sur le papier, des formes qui y naissaient.

*

Le raffut exagéré de son revolver s'accentua en rebondissant dans les espaces clos et voûtés de la crypte. Les deux prêtres qu'il avait pris par surprise s'effondrèrent sur le sol et remuèrent sous l'impact répété de ses balles. Léon vida les douilles puis rechargea rapidement. Des bruits de pas, des bruits métalliques, des exclamations, des chuchotements trahirent la présence de bien nombreux ennemis. Dans un endroit si étriqué, les murs et les plafonds étroits et recouverts de crânes le touchant presque de chaque côté des couloirs, Léon garda son revolver en main, le préférant à un fusil bien moins maniable. Dans son autre main, un couteau, une dague, ramassé ça ou là.

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