Chapitre 24

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Une de ses chaussures avait disparu. Elle ne se souvint pas de quand. Peut-être était-elle restée dans le coffre de la voiture, peut-être était-elle tombée plus tôt, quand elle avait tenté de courir au loin. Aussi vite que fussent ses pas, l'homme l'avait rattrapée. C'était comme si elle n'avait jamais pu fuir, jamais pu s'enfuir. Une brume pourpre s'était emparée d'elle, un voile mystérieux l'avait entourée, convaincue de ne plus partir, plus jamais. Elle ne se souvint que du choc à l'arrière de sa tête, même pas de s'être effondrée dans le sang de son mari.

Voilà qu'elle marchait depuis plus d'une heure avec un seul talon. Son pied nu ruisselait de sang et sa cheville était tordue. La plante de ses pieds hurlait de douleur. Les rochers humides et salés étaient glissants comme du verre. Elle s'était blessée à de nombreuses reprises, elle était souvent tombée. Son ravisseur ne parut jamais s'en soucier, la soulevant violemment du sol à chaque fois qu'elle chutait, la remettant sur sa voie avec un grognement.

La terreur qui la saisissait l'empêchait de parler. Comment cet homme qui marchait derrière elle pouvait encore se mouvoir ? Elle l'avait vu mort, elle l'avait même autopsié. Comment une horreur si malfaisante pouvait-elle exister, et quel dieu pervers pouvait le permettre, voire l'exiger ?

Ses larmes avaient séché sur ses joues et l'air salé lui brûlait les yeux, ravissant, sapant un peu plus à chaque instant ses maigres forces. Elle réfléchit à essayer de s'échapper. Un regard alentour et elle n'y repensa plus. A sa gauche, la paroi rocheuse était si escarpée que même avec de l'équipement, elle n'aurait jamais réussi à s'y mesurer et à sa droite, la falaise descendait en à-pic vers des profondeurs abyssales et houleuses. L'océan se déchaînait dans cette nuit curieusement bien éclairée.

Au-dessus des eaux noirâtres, la lune brillait, comme sortie des nuages. Elle était si proche de l'horizon, si proche de l'océan, que Marie crut y voir un visage démoniaque sans bouche, un objet démesuré et fascinant. Elle se sentit tomber, elle s'imagina que la terre et la mer s'inclinaient devant une divinité qu'elle devinait au loin.

L'homme la poussa sur les récifs et elle atterrit dans un boyau de roche éclairé de noirceur. A son bout se trouvait sa fin.

*

Le bois de chacune des marches craqua dangereusement sous son poids. Léon avait les yeux rivés sur les traces de pas gluantes qui le précédaient. Sa respiration se fit lente, discrète. Il avait peur qu'une chose le sache en ces lieux, qu'une chose l'attende et le guette.

Le détective porta une main à sa ceinture, déboutonna la lanière de son holster et posa ses doigts sur la crosse de son arme. Cette fois-ci, il serait prêt à se défendre contre les perversités qui l'entouraient.

Un chuchotement dans son dos le fit se retourner. Il ne trouva rien d'autre que l'obscurité là où sa lampe ne pouvait éclairer. Quand il se remit en marche, les traces de pas avaient disparu. Léon entendit son cœur se stopper, battre à reculons. Il les chercha du regard, sûr de leur présence un instant plus tôt. Où sont les choses que je vois disparaître?

Léon avança prudemment, décocha son arme de poing et tenta de contrôler son corps tandis que la peur l'assaillait.

Une volée de marches plus tard, Léon atteignit un étage. Plongé dans le silence et dans une obscurité différente de celle du rez-de-chaussée, le détective colla son dos au mur et longea la paroi jusqu'à arriver au second escalier, de l'autre côté de la pièce. Quelques meubles ornaient l'étage, des bibelots et des tableaux étaient même accrochés aux murs. L'un d'entre eux avait chuté et encombrait le sol au pied de l'escalier. Quand Léon s'en approcha, il trouva une trace ensanglantée sur le mur. Une griffe y avait laissé sa marque dans la pierre, profonde et menaçante.

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