Chapitre 51

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Léon entendit ces mots comme les tics et les tacs d'une horloge, comme des aiguilles recousant ses stigmates, ses joues, sa bouche et sa gorge. Le collier lui brûla le cou, la nuque, la chair à mesure que les symboles s'écrivaient dans son sang. Léon pleura de peur, de joie, de tristesse et d'erreur. Il ne sut quoi penser, il ne sut penser car rien n'était plus.

De nouveau, il entendit les mots, les prières et il vit la sphère sourire car il entendait les mots tels qu'ils étaient vraiment, tels que son cerveau les lui dictait maintenant.

« Kel ch'ara Se'er.
Mlui ktekl Taarh. »

C'était Suzie qui les disait, c'était sa bouche, ses lèvres, sa foi.

C'était Cassandre qu'il le disait, c'était sa bouche, ses lèvres, sa foi.

C'était Seer qui le disait, c'était Sa bouche, Ses lèvres, Sa foi.

Seer se tenait là haut, une orbe gigantesque et monumentale, une erreur dans la fabrique même de l'espace ou du temps. Léon vit la lumière se refléter sur lui, s'échapper, le traverser. Les étoiles semblèrent l'appeler alors que le béton, le sable, le verre et le fer s'élevaient dans les airs, soulevés, aspirés par un souffle qui faisait fi de la matière. Léon se sentit décoller du sol, il ne put rien ressentir d'autre car même ses émotions, son esprit, ses ambitions mourraient devant l'apparition d'un dieu.

Léon dut cligner des yeux, déchirer ses paupières pour y voir. Sous la sphère, l'ombre, la lumière oscillèrent. Léon se demanda qui était cette chose sortie de son corps, posée sur un trône si le véritable dieu était cette sphère. Il se demanda comment tant d'entités, tant de mystères, pouvaient bien exister, coexister dans l'univers. Les sons, les formes, les choses, les couleurs tombées du ciel n'étaient que la signification, l'amalgame de cette horreur faite de chitine, d'os et de chair. Mais sous l'orbe en constante évolution, Léon vit un corps, celui de la salle du trône, celui sans tête tendre les bras. Léon vit un puis deux, puis plus, puis sept mains sortir du ciel, former des bras, des épaules et devenir la silhouette elle-même. Léon vit la créature sourire de ce visage si immense qu'il en était devenu la Terre entière. La sphère, cette sphère qu'il vit et qu'il admira, qui le terrifia et qui l'obnubila, Léon la vit se démultiplier. Le détective revit la salle du trône, l'imagina remplie de longs bras de fer ou d'acier, de roche ou de sabliers, accueillant de caresses et de promesses. Le long de l'allée centrale, les rangées de prisonnières, une tour vissée sur les épaules, leurs sept têtes, ces excroissances décadentes et dégoûtantes. Léon vit alors le ciel se déchirer d'autant de sphères, les vit rieuses et malicieuses et comprit que Seer n'était ni la silhouette, ni la première sphère, il était tout ça. Léon comprit que rien n'existait, ne coexistait avec cette chose, avec la Sphère. C'était ça et puis plus rien derrière.

L'enfant se retourna vers lui, sourit alors qu'elle n'était plus ni une enfant, ni Suzie. Alors qu'elle était un monstre, celui que Léon avait déjà abattu. Celui pour lequel il fallait qu'il recommence. D'un acte désespéré, d'une violence sans nom, d'une peur inespérée, il abattit l'enfant qu'il voulait sauver.

*

« Je tiens à remercier pardessus tout l'aide phénoménale du Professeur Sara Landouse dans ce combat formidable contre la Sphère. Mesdames et messieurs, je me permets enfin de prononcer ce mot, ce nom sans avoir à l'appeler le code-objet-1 car aujourd'hui, mesdames et messieurs... Nous avons gagné. Aujourd'hui, la dernière pierre à l'édifice que sont le dôme et les murs de protection a été terminée. Aujourd'hui, le labyrinthe est fonctionnel. Nos premières équipes de Sentinelles n'attendent que notre signal pour entamer leur première patrouille dans les différents quadrants du secteur protégé. Malheureusement, le professeur Landouse est souffrante et ne peut elle-même coupé le ruban pour cette cérémonie, j'ai donc été choisi pour recevoir cet honneur à sa place. Sara, merci à vous pour tout ce que vous avez fait. Vous nous aviez tous impressionnés par la rigueur et l'imagination qui vous a permis de créer un matériau résistant au pouvoir d'attraction de la Sphère. Vous avez fait tellement mieux depuis. Votre survie miraculeuse lors de l'attaque terroriste du 14 Octobre et votre courage insensé nous aura amené une Sara encore plus vive d'esprit et encore plus déterminée à contenir le dieu qui avait décidé de nous dévorer. Suite à ça, suite au miracle de ce que vous avez appelé L'Autre, vous avez imaginé, dessiné les plans, le mode de fonctionnement d'un écosystème terrifiant et sublime à la fois : le Labyrinthe. La force qui vous a permis, pendant votre coma, vos nuits et vos journées, de concevoir et de calculer tout cela est... Je n'ai pas les mots pour le décrire, je pense que personne ne les a ni ne les aura un jour. Sara, de tout mon cœur et de celui de tous, dans le monde entier : merci. »

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