Chapitre 28

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XXXX A quoi bon écrire quoi que ce soit ?
31 XXXX X9XX.

Je montais sur le pont pour aller apprécier l'air pur et frais de cette accalmie tant espérée. Nous avions progressé prudemment vers celle-ci, essuyant les orages et les pluies meurtrières d'un côté, les vagues fracassantes de l'autre.

Attirés par quelque miracle dans ce havre de paix, prêts à nous reposer, à apprécier la lumière du vrai soleil, à récupérer des forces avant d'affronter de nouveau la tempête qui jamais ne se calmerait. C'était jusque-là la plus féroce que j'eus rencontré ou entendu parler.

Alors que je m'abîmais dans l'étude des étoiles, les yeux levés vers un ciel dégagé qui m'avait, plus qu'un amour tendre, tant manqué, j'eus cependant la sensation, la subtile impression que ce ciel bleu ne venait pas nous sauver, mais nous condamner. Le ciel et la mer se disputaient tour à tour mon regard. *Je regardais le pont à mes pieds, sentait les eaux se battre, se déchaîner et m'intimer de sombrer. Je pensai à l'accalmie, à ce moment doux et chaleureux, bien que fugace, qui m'avait fait oublier ma tristesse, ma solitude l'espace d'un instant. Pourquoi les lumières les plus belles, les plus chaudes ne nous attiraient que plus avant dans les ombres ? J'ai crû qu'elle me sauvait de la noyade, de la mort et de la fin quand elle ne me montrait en fait que la sienne. Je n'ai jamais tant pleuré qu'en me retrouvant seul au milieu de toute cette lumière car je savais que le monde en-dehors n'était plus que désolation.*

*

Ses yeux fixèrent le trou béant dans la structure du pont. De part et d'autre, le rail se tordait puis disparaissait. Précisément entre deux lampadaires, Léon observa leur clarté qui se réduisait, s'amenuisait à mesure qu'elle s'approchait de lui, du gouffre. Les rails se tordirent et les images dans ses yeux se distordirent. Un flou s'empara de sa vision et Léon imagina Anna qui l'attendait. Il recula d'un pas et embrassa la scène du regard. Une silhouette faite d'ombre s'y tenait, attendant inexorablement. Comme un mouvement piégé dans une image, elle devint tour à tour liquide puis solide, évanescente puis éternelle. Annabelle s'impatientait, s'inquiétait sur le pont des Nicolas. Elle regarda ce que Léon devina être sa montre. Des choses, d'autres silhouettes, des formes passaient devant elle sans lui accorder le moindre regard. Léon vit qu'elle, en revanche, dévisageait les passants. Anna cherchait dans leurs ombres et dans leurs formes, celle et celles du détective. Mais il mit tant de temps à venir, à revenir qu'il ne revint pas, pas à temps.

Les choses se dispersaient puis s'amassaient autour d'elle. Une volute de fumée s'échappa du trou qui figurait sur son visage plat, noir, liquéfié : un cri, un hurlement silencieux. Léon revécut la rambarde qui romps, le corps qui chute, qui atteint l'eau, qui se débat et qui dans les courants de l'affluent, disparaît.

Plus personne ne passait sur le pont des Nicolas, il était bien trop tard. Léon se retrouva seul, une fois de plus, devant ces dieux et leurs servants. Une ballerine à ses pieds, voilà tout ce qu'il restait de ce rai de lumière qu'elle avait été pour lui.

Léon contempla le journal d'Ernest Bale, l'horreur qui l'avait, il s'en rendait compte à peine à ce moment, distrait, retardé. Il serait arrivé à temps si ce livre ne l'avait pas détourné de son but, de sa mission. Ou alors, se dit-il, serais-je mort avec elle ? Ernest Bale, sa vie, ses écrits, étaient-ils un guide dont les mots le conduiraient jusqu'à une autre fin que la sienne, un autre dénouement ?

Ses yeux se levèrent et confrontèrent les lumières maintenant disparues de ces phares qui empestaient tant la mort. Il leur fit face avec tout ce que son corps et son esprit recelaient encore de peine et de haine. S'il ne s'en sortait pas vivant, il les emmènerait avec lui.

Léon laissa la ballerine d'Anna sur le pont et se replongea dans ce journal qui avait dicté son passé, son présent. Il était temps que ce journal soit celui de son futur.

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