Chapitre 21

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Sur les six détectives desquels Don, et Léon à son tour, avaient reçu les cas de disparitions, deux étaient morts, les autres avaient eux aussi disparu. Setekis, retrouvé dans le canal Sémétaire plusieurs semaines auparavant et Adama, victime d'un « suicide » au milieu des ravages de son propre bureau.

La phrase sur le mur d'Adama, « A la lumière du phare » lui revint de nouveau en mémoire. Léon cligna lentement des yeux, se replongea dans son souvenir. Un filtre sale, chatoyant, saturé de noirs et de blancs se superposait à l'image qu'il avait du bureau de Questo.

Debout devant une paire de chaises, Léon voyait dans un alignement presque cinématographique l'imposant meuble en bois sur lequel ne nombreux dossiers s'étalaient d'un air faussement désorganisé, Adama en train de travailler, une cigarette entre les doigts et le mur du fond, orné d'un immense tableau, un paysage pastoral fourmillant de détails. Les couleurs chaudes dégageaient une impression de douceur que l'air ambiant semblait ne pas pouvoir altérer. C'était comme si tout l'appartement subissait les affres du temps mais que les simples dorures du cadre en stoppait la propagation. Cachée complètement par le tableau, la phrase « A la lumière du phare » paraissait scintillait d'en dessous, par simple transparence.

Léon s'avança, effleura du doigt l'un des fauteuils puis le bois du bureau, contourna l'Adama en pleine réflexion, ne s'arrêtant qu'en sentant le fumet puissant du tabac. Il se sentit nerveux, se demanda depuis quand il n'avait pas lui-même fumé. Il se dit que ça n'avait pas d'importance, que le temps n'avait pas d'importance, qu'il se devait d'avancer, dans quelque sens que ce soit.

Adama se tourna vers Léon, le regard perdu dans le vide. Il s'observèrent en silence sans vraiment se voir jusqu'à ce qu'il reporte son attention sur ses documents. Ne resta entre eux deux plus que le filet de fumée qui s'étirait vers le haut, dansait.

*

Ernest Bale, journal d'un expXXXXX
28 JXXX XXXXX

Les affaires de Smeth avaient été rassemblées dans un sac en toile puis déposées dans mes quartiers. Je profitai de ce calme nostalgique, de cette absence terrible et flagrante d'émotions fortes pour me plonger dans la vie, dans ce qu'il en restait, de cet hXXme qui avait partagé notre quotidien pendant de nombreuses années. Le tabac froid qui gisait devant moi me sembla si familier. L'était-il vraiment ? L'était-il pour autant ? Je me souviens avoir tendu la main, tenté d'attraper de mes doigts cette fumée si vaporeuse, ce goudron si charmant comme si ma vie en dépendait. Je reportais mon attention devant moi, oubliant ce qui m'entourait comme si jamais ça n'avait été présent.

Le connaissais-je vraiment ? Je me demandais qui était ce Samuel Smeth que l'on appelait tout simplement et avec affection : SmXth.

J'ouvris le sac et en sortit son contenu.

Au premier extrait de ses mémoires, je me dis que je n'en révélerai qu'un unique objet par jour -et je me surpris à sourire de l'étrangeté de cette pensée, de cette idée. Pourquoi le tabac me préoccupait tant, moi qui n'a jamais fumé ? Ou aurais-je fumé dans mon manoir ? Je ne sais plus si c'est un boudoir ?- à la tombée de la nuit, quand mes idées se mélangent à l'alcool et que la splendeur du soleil dépeint une atmosphère appropriée à ce qu'on appelle le deuil.

*

Le tableau lui fit plus l'effet d'une télévision, d'un écran de cinéma miniature. Plutôt que peints, immobiles, les détails semblaient se mouvoir. Le champ de coquelicots au premier plan ondulaient lentement, comme un trompe-l'œil. Léon se demanda si ce qu'il voyait était bien la réalité ou si ce n'était qu'un rêve. Il se retourna vers Adama qui s'affairait encore sur ses dossiers, une cigarette éternelle dans les doigts. Le trou béant à l'arrière de son crane ne parut pas le gêner dans sa tache.

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