Chapitre 42

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Deux... Journaux ?
21 Août xxXX.

L'île était visible à l'horizon depuis quelques minutes lorsque, muni de ma longue-vue, j'en observai les premiers contours. Nul arbre, nulle plage de sable que mon œil puisse discerner... Cette île m'apparut comme un rocher gris et géométrique, sculpté par les flots pendant des centenaires, des millénaires, qu'en savais-je ?

Nous nous approchâmes aussi près que possible sans faire de signaux et SeXXerXx, sur le pont, nous indiqua un chemin qui serpentait parmi les récifs pointus, meurtriers, qui entouraient l'île. EsXxXxX me souffla qu'un tel chemin relevait de l'œuvre du diable et moi-même ne sut me dire comment des gens auraient pu survire à un naufrage ici, ou comment SeXXerXx avait pu en repartir.

Ne voyant sur l'île que ces crêtes sombres aux arrêtes tranchantes et nulle présence humaine, je donnai l'ordre à mon équipage de contourner l'île et de partir vers l'horizon, direction l'Europe.

Ce moment, je le sus, fut le grand tournant de mon existence. J'avais concédé à des forces qui me dépassaient, et maintenant, je leur refusai mon concours. Me voilà condamné. Mais condamné à quoi ? A rien ! J'attends que l'homme sur le rocher fasse mine de m'approcher. J'attends qu'il fende les eaux, les os, pour m'atteindre. Je me régale, je me réjouis d'avance. Je salive de cette eau de mer qui me fait tant perdre patience. Je sais les profondeurs confortables, je sais leur ténèbres, leur clameur, admirables et j'attends. Margot, Ô Margot, j'attends ! Je vois de nombreux couloirs, de nombreuses choses, je vois les flammes qui s'échappent de l'ombre, de la nuit, de chez moi, de chez nous, je sens l'odeur fraîche de la viande qui grille, qui brûle, qui tombe en poussière, mais je sens ma faim les recouvrir.

Margot, Ô Margot ! Je le vois qui se lève, qui s'apprête à plonger vers moi. Mais il marche droit, il est en colère. Il a le regard vide, l'esprit dément et j'ai peur de lui. Cet homme me fait peur, si peur, sa longue griffe est pleine de sang et l'odeur de sa peau, de son corps, de sa chair me répugne, on le croirait fait de rejets, de regrets. Ô mais qui est-ce qui arrive, qui me voit de loin et qui me rejoint ?

*

Dans sa poche, Léon sentit le journal de Bale qui gratta, qui se démena, qui se tortura. Il sentit la plume d'une main qu'il ne contrôlait pas. La main dans la poche, Léon sentit la faim qui le dévorait, il sentit le papier s'épanchait de sa chair, de son sang, écrire seul les mots et les maux de tant d'autres. Il avait vite compris qu'il ne s'agissait plus que du récit de Bale mais celui de tant d'autres avant et après lui. Ce journal, ce récit de voyage, n'était qu'un sordide assemblage de choses présentes et passées et Léon n'osa pas s'en abreuver plus. Il se contenta de retirer sa main exsangue et ses bandages tâchés de tant de sang séché qu'il se crut mort, ou mort-né.

Une pensée occupa son esprit, y resta, l'obnubila, celle d'une larve, d'une chose infâme et dégoûtante, allègrement allongée dans les bras d'une chose, d'une poupée, d'un être sans vie, pleine d'envie de vie et lui, et elle, la larve, lui de nouveau, voir le monde, son monde, celui d'autres, d'aucuns, sous un nouveau jour, une nouvelle nuit, une nouvelle lune, de nouveaux cieux, celui qu'un soleil noir et éternel dévorait sans fin.

Léon sortit de l'entrepôt en claudiquant, ses nombreuses blessures encore à vifs, toutes armes dehors, prêt à se débarrasser de l'horreur qui lui suintait des yeux. Une fois passée la porte principale, sa tête se tourna naturellement vers le second bâtiment. Il pénétra dans son ombre par l'entrée la plus proche, délaissant la lumière des flammes dans son dos pour les ténèbres des couloirs les plus sombres devant lui.

Moins discret que précédemment, Léon se contenta d'avancer sans s'arrêter dans le dédale de pièces et de couloirs. Il ne fit guère attention aux humains qu'il croisait en chemin. Le complexe différait par de nombreux aspects. Les cuisines, plus vastes, accueillaient davantage de plans de travail et Léon compta les paires de bras et de jambes qu'il trouva sur ceux-ci à mesure qu'il en tuait les bouchers. Le nombre de munitions dans son revolver diminua dangereusement et les balles dans les poches de son imperméable se tarirent rapidement. Il dut se servir de sa lame, de celles des autres, afin de tailler la chair de ceux-là même qui taillaient celle des innocents.

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