Chapitre 17

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Léon fonça vers sa voiture, ne prit pas le temps d'en faire le tour et démarra. Le beau temps Suisse ne lui soulagea aucun mal alors que l'image de Paterson s'arrachant les yeux avec les ongles se propageait dans son esprit, qu'il voyait ce sang dégoûtant ruisseler même une fois ses propres yeux fermés.

Paterson avait parlé de Gesicht. Léon fit rapidement le lien entre les mentions d'un journal et du nom de Gesicht, un disparu sur qui Adama Questo, l'un des détectives privés en charge de certains de ses dossiers, avait enquêté.

Une fois en route, Léon en profita pour feuilleter ses notes et trouver l'adresse de Zommer Gesicht, un collectionneur. Les deux récits s'entrecoupaient, se rejoignaient. Cette piste se révélait prometteuse, mais l'horreur qui se dégageait de chaque nouvelle trouvaille s'emparait de plus en plus des restes brisés de sa santé mentale.

Léon revit l'algue, le phare, les fonds marins, le sang, les os noirs, la mort, la vie, les brûlures, le collier, le visage de Suzie Meyers.

Il s'agita, fit un écart en voiture, perdit le contrôle et se rattrapa de justesse. Les comtés dans lesquels il sillonnait étaient jonchés de ravins et les montagnes Suisses ne sont pas avares de chutes mortelles.

Léon s'arrêta sur le bord de route, ne retrouvant pas le dernier rapport d'Adama, il s'énerva puis se calma un peu. L'adresse de Gesicht ne semblait pas loin, autant qu'il y aille, il y trouverait peut-être plus d'indices, de réponses.

Le trajet fut rapide, la conduite de Léon, irréprochable. Il ne pouvait se permettre de mourir d'un accident de la route alors qu'il entrevoyait enfin un peu de lumière dans ces ténèbres aveuglantes. Il atteignit le manoir de Gesicht, cerclé d'une forêt drue et verte.

Le crissement du gravier sous ses pneus attira une jeune femme au-dehors. Blonde, élégante, d'une trentaine d'années, elle approcha Léon, emmenant un mélange d'émotions, de sensations que Léon avait du mal à identifier, un parfum qu'il connaissait.

-Et vous êtes ?
-Zebonzes Léon, détective. Est-ce bien le domicile de Zommer Gesicht ?
-Oui, je suis sa fille, Annabelle.

Léon eut la respiration coupée, son visage se changea devant le nom qu'elle lui présentait : « Anna, vous dites ? »

Elle haussa les épaules, indifférente : « Si vous voulez. »


*

La relève vint au bout de onze heures. Les crampes qui agitaient son corps, les tourments qui agitaient son esprit n'avaient rien de comparable à l'absurdité de la sphère immobile au loin. Malosane eut une vision étrange. Celle d'une salle immense. Il y vit des piliers si hauts qu'ils se perdaient dans une brume évanescente. Loin dans les tréfonds de cette caverne aux piliers se tenait une forme innommable, clignotante, sculptée dans la réalité de son rêve éveillé, à la fois proche et distante, atteignable et fuyante.

Des soldats dans des tenues sordides les dépassèrent en courant, tirant Malosane de ses illusions. Ils franchirent le périmètre de sécurité et s'arrêtèrent d'un bloc, leurs crampons fermement enfoncés dans le sol accidenté. Grâce à ses lunettes, Félix en surveilla un qui progressait à pas lents, s'aidant d'un pieu effilé avec lequel il marquait son chemin, l'enfonçant d'un pied à chaque pas.

Une traînée froide les suivait, se dandinait sur le sol derrière ces soldats étranges et à leurs ordres contradictoires. Malosane fixa le serpent qui leur sortait du dos, ennuyé par la nuit qui cachait les détails que seule la chaleur révélait sous son viseur.

Avec la meilleure des coordination, cette troupe avant-gardiste progressait petit à petit vers la sphère qui les toisait à plusieurs kilomètres de distance lorsqu'une radio retentit.

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