17.1
Léon fonça vers sa voiture, ne prit pas le temps d'en faire le tour et démarra. Le beau temps Suisse ne le soulagea d'aucun mal, d'aucune horreur, alors que l'image de Paterson s'arrachant les yeux avec les ongles se propageait dans son esprit, qu'il voyait ce sang dégoûtant ruisseler même une fois ses yeux fermés.
Paterson avait parlé de Gesicht. Léon avait rapidement fait le lien entre les mentions d'un journal et du nom de Gesicht, un disparu sur qui Adama Questo, l'un des détectives privés en charge de certains de ses dossiers, avait enquêté.
Une fois en route, Léon en profita pour feuilleter ses notes et trouver l'adresse du collectionneur, Gesicht Zommer. Les deux récits s'entrecoupaient, se rejoignaient un peu trop élégamment. Cette piste se révélait prometteuse, mais l'horreur qui se dégageait de chaque nouvelle trouvaille s'emparait de plus en plus des restes brisés de sa santé mentale.
Léon revit l'algue, le phare, les fonds marins, le sang, les os noirs, la mort, la vie, les brûlures, le collier, le visage de Susie Meyers. Ses yeux s'écarquillèrent d'horreur alors qu'il aperçut l'enfant sur le bord de la route, l'observant, lui faisant signe. Son visage maladif, son horreur, effrayèrent Léon. Il cria, fit faire un écart à sa voiture et en perdit le contrôle. Il se rattrapa de justesse, sa voiture à quelques mètres du ravin.
Le détectiver s'arrêta sur le bord de route, sortit et chercha des yeux l'enfant disparue. Le comté était désert. Aucun signe ne subsistait de son passage. Léon tenta de retrouver son calme avant de chercher le dernier rapport d'Adama. Dans son empressement, il hésita, trembla, s'énerva puis se calma un peu lorsqu'il mit finalement la main dessus. L'adresse de Gesicht ne semblait pas loin, ses mystères, à sa portée. Léon espéra seulement que le manoir des Santhes lui apporterait plus de réponses que de questions.
Le trajet fut rapide, la conduite de Léon, irréprochable. Il ne pouvait se permettre de mourir d'un accident de la route alors qu'il entrevoyait enfin un peu de lumière dans ces ténèbres aveuglantes. L'image du phare se fit plus présente, les paroles de Paterson s'imprimèrent dans son esprit.
Léon atteignit le manoir de Gesicht, cerclé d'une forêt verte, drue, piégée dans un éternel automne. Le crissement du gravier sous ses pneus attira une jeune femme au-dehors. Blonde, élégante, d'une trentaine d'années, elle s'approcha de Léon. Emmenant avec elle un mélange d'émotions, de sensations que Léon avait du mal à identifier, un mélange qu'il connaissait, elle le héla :
« Et vous êtes ?
-Zebonzes Léon, détective. Est-ce bien le domicile de Gesicht Zommer ?
-Son ancienne adresse plutôt, mon père nous a quitté il y a bien longtemps, détective. Je suis sa fille, Annabelle. »Léon eut la respiration coupée, son visage se changea devant le nom qu'elle lui présenta : « Anna, vous dites ? »
Elle haussa les épaules, indifférente : « Si vous voulez. »
17.2La relève vint au bout de onze heures. Les crampes qui agitaient son corps, les tourments qui agitaient son esprit n'avaient rien de comparable à l'absurdité de la Sphère immobile au loin. Malosane eut une vision étrange. Celle d'une salle immense. Il y vit des piliers si hauts qu'ils se perdaient dans une brume évanescente. Loin dans les tréfonds de cette caverne aux piliers se tenait une forme innommable, clignotante, sculptée dans la réalité de son rêve éveillé, à la fois proche et distante, atteignable et fuyante.
Des soldats dans des tenues sordides les dépassèrent en courant, tirant Malosane de ses illusions. Ils franchirent le périmètre de sécurité puis s'arrêtèrent d'un bloc. Leurs crampons fermement enfoncés dans le sol accidenté, ces unités progressèrent en silence. Grâce à ses lunettes, Félix en surveilla un qui avançait lentement, prudemment, s'aidant d'un pieu effilé avec lequel il marquait son chemin, l'enfonçant d'un pied à chaque pas.
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La Sphère
Horror"La Sphère" est une histoire fragmentaire, constitué de 365 scènes qui suivent, tour à tour, l'évolution de différents personnages au travers des événements liés à une entité Lovecraftienne surnommée "La Sphère". Elle aspire et dévore tout sur son p...