Chapitre 31

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Léon s'accorda l'équivalent d'une pause en fermant les yeux devant le miroir de la salle de bain. Il s'était déplacé à pas lents le long du couloir, une main caressant le mur à sa gauche, sautillant lorsqu'il rencontrait le cadre d'une porte pour atterrir juste après celui-ci. L'eau qui avait envahi le salon ne semblait pas avoir perturbé le tapis de feuilles et de photos qu'il avait arrangé en plein milieu. Elle s'était simplement accumulée comme une brume jusqu'à tout recouvrir. Même ses pieds peinaient à dire s'ils étaient mouillés.

Léon avait fait de son mieux pour ne pas sombrer plus avant encore dans la folie. Cette démence qu'il voyait se dessiner un peu plus chaque jour, chaque nuit, l'affectait aussi physiquement. Devant le miroir, il observa sa réflexion. Son visage, ses traits, changeaient avec le temps jusqu'à ce qu'il ne se reconnaisse plus vraiment, jusqu'à ce qu'il soit quelqu'un d'autre.

Les yeux toujours clos, il se tourna vers le couloir d'où il était venu. Le bout de vasque en céramique gisait toujours à ses pieds, brisé. Dans l'ombre de ses souvenirs, il se souvint de cet étrange rêve, de ces événements qui avaient eu lieu dans ce couloir. Il se souvenait l'avoir vu grandir, se contracter, s'étrécir, se dilater, se tordant comme un boyau. Les murs, les sols et les plafonds ondulaient devant lui.

Le goût du sable envahit de nouveau sa bouche. Des tentacules sombres apparurent à la limite de son champ de vision, glapissant dans l'eau, rampant. Dans le noir de la pièce, il parvint tout de même à distinguer le contour des choses, de ces choses. Leur position et leur mouvement se répercutaient comme des rides sur l'eau. Les tentacules, amas informes de chair, d'ombre et d'eau, laissèrent dans leur sillage des traînées de sel et de sable. L'odeur de la vase et de la décomposition, une odeur qu'il avait senti dans la rue sous le lampadaire, s'infiltra dans ses narines comme un ver dans un cadavre.

Autre chose se nicha en lui, s'installa et lui fit comprendre qu'il y resterait longtemps. Par réflexe, Léon leva les mains à son visage et se heurta au collier d'obsidienne. Il palpa ses formes en douceur, explorant chaque recoin, chaque aspérité. Ce qu'il décrivait comme des pierres à la couleur du jais lui parut plus proche de dents. Il imagina la forme qu'aurait la créature qui porterait un dentier tel que celui qui lui dévorait le cou.

*

« Ici contrôle. Un appel privé pour vous, sergent. »
-Contrôle, je suis toujours en patrouille avec l'unité de Sentinelles numéro un. Est-ce que ça peut attendre ?
-L'appel peut attendre, sergent. On m'a dit de vous dire que c'était au sujet du sous-officier Apripha, sergent.

Malosane ralentit la cadence, ses pieds devinrent immobiles, s'ancrèrent dans le sol comme les pieux de béton qui les protégeait de la Sphère. Il craignait que ce jour arrive, qu'on l'appelle et qu'on lui annonce la fin prématurée de Maïa. Loin d'être amants ou intimes, les deux soldats avaient partagé beaucoup de complicité pendant leur service militaire et Félix éprouva rapidement beaucoup d'affection pour elle. Il se plaisait à penser que c'était réciproque. Maïa représentait aussi son dernier lien avec un monde sans la Sphère. Le jour de l'Apparition du code-objet-1, il avait perdu tant et tant de gens. Le souvenir du corps de Maïa, pressé contre le sien le hantait, terrorisé par la simple éventualité de ce qui lui serait arrivé si il l'avait lâchée. Félix revit les centaines de corps de soldats qui s'étaient levés dans les airs comme des poupées de chiffon avant d'être aspirés, avalés par le monstre dans sa tanière.

-Je prends l'appel, contrôle. Merci.
-Reçu, sergent. Je vous transfère.
-...

-Bonjour sergent Malosane. Ici l'officier médical Pereris. Navré de vous déranger en pleine patrouille, mais je pense que vous auriez souhaité être informé au plus tôt de l'état de mademoiselle Apripha.
-En effet, parvint-il à articuler. Les muscles de sa mâchoire étaient si crispés qu'il se sentit soulagé d'avoir pu prononcer ces deux mots. L'escouade numéro un fit halte et se mit en position autour de leur chef d'unité.
-Mademoiselle Apripha est sortie de son état catatonique. Elle est toujours en observation dans l'aile médicale, mais vous pouvez lui rendre visite. Elle va bien, sergent. Elle va bien.
-...
-Sergent ?

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