Léon s'éloigna des feux qui gravaient des cercles sanglants dans son dos, s'abrita derrière l'édifice gigantesque de l'église. La cathédrale des profondeurs à l'est de la ville et maintenant celle-ci, Léon se demanda si Dieu n'existait pas. Il se demanda s'Il était cette chose que les gens priaient depuis des éons, s'Il savait et voyait ce que lui discernait dans les ombres.
Le détective s'en fit au détour de ruelles. Par hasard ou inconsciemment, Léon retourna à l'endroit même où il avait retrouvé le corps sans vie, sacrifié, de l'un des disparus. Avec les deux gardiens du phare et la crypte, Léon avait quadrillé les quatre coins de la ville et il se sentit au bord de quelque chose. C'était comme si un précipice venait de s'ouvrir à la fois devant et derrière lui. Coincé sur une corniche au milieu de vagues aussi tranchantes que des lames, cerné par des profondeurs titanesques de part et d'autres, Léon fut pris de tremblement. Il était à la limite de ce que la nuit et le jour se disputaient.
Une gifle le sortit de ses pensées. Léon se massa la mâchoire, il sentit la piqûre douloureuse d'une bague, d'un anneau contre sa pommette. Pourtant Léon était seul. La rue grouillait de monde, des valses d'humains dansaient d'un restaurant, d'un café à l'autre, naviguant d'une terrasse à une autre. Il se demanda qui l'avait frappé, il se demanda s'il s'était lui-même frappé. Léon observa ses mains bandées, étudia le sang séché qui craquelait à chaque mouvement de ses doigts et se ressaisit. Peut-être n'était-il pas encore tout à fait réveillé.
Le dédale que constituait la Loupe, le quartier fortifié de la ville où habitait autrefois la famille régnante, n'avait pas de secret pour Léon. Dans le passé, lorsque Don l'accueillait, une affaire les avait menés tous les deux dans ce quartier intriguant. Le vieux détective lui avait alors enseigné quelques méthodes pour se repérer. La mère régente de la Loupe, paranoïaque au possible, avait forcé ses habitants à démolir leurs habitations pour les reconstruire ailleurs, transformant les rues en impasses, les places en jardin, les jardins en petites traverses. Il fallait lire l'âge des murs pour se guider. Léon posa la main à un croisement et fut saisi d'une sensation familière. Au moment précis où la pulpe de ses doigts toucha la pierre, il prit une légère décharge électrique, le mur ne lui disait plus rien. Le détective fut pris d'un léger vertige et dut s'appuyer entièrement contre la façade. La rue dans laquelle il marchait, au moment où il releva les yeux, était devenu une grande place.
*
Les larmes qui coulaient le long de ses joues chargèrent d'humidité son masque, créant de la buée contre la vitre de plastique devant ses yeux. La Sentinelle ne se retourna pas une seule fois pour voir son ami décédé. Dans le labyrinthe, tout ce qui s'arrêtait de bouger était voué à mourir.
Johan leva un instant les yeux et aperçut, plus haut, un couloir qui surplombait la zone dans laquelle il se trouvait. L'affichage à son poignet indiquait qu'Alma vivait toujours. Il fallait qu'il la retrouve ou qu'il rejoigne une autre escouade. Dans le meilleur des cas, il devra faire les deux. Seul, il n'avait pratiquement aucune chance de ressortir en vie.
La Sentinelle posa sa main sur le mur le plus proche et lut le braille. Les inscriptions en relief, leurs couleurs et leur texture, leur forme et leur mouvement lui indiquèrent un chemin vers la passerelle. A droite sur deux, en bas sur un, à droite sur deux, à gauche sur un. Johan réussit à rallier le promontoire en moins de cinq minutes et s'étala sur la corniche, haletant. D'une pression sur son poignet, il tenta de joindre d'autres Sentinelles alentour. Aucune réponse.
Johan jura dans sa barbe avant de se relever, encore hors d'haleine. Il étudia rapidement la topographie de la zone et discerna dans l'ombre d'une section les mouvements furtifs des rescapés d'une autre escouade. Johan savait qu'il s'agissait de rescapés car ils n'étaient plus que trois. Se connectant en vocal avec eux, il leur donna sa position et leur fit signe dès qu'ils eurent levé les yeux vers lui.
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La Sphère
TerrorLa sphère est un roman constitué de courtes scénettes qui dépeignent la rencontre de personnages que tout oppose mais qui gravitent tous autour d'une chose, la Sphère. Elle les appelle à elle et ils viennent tous, immanquablement. Découvrez chaque j...