Chapitre 46

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-Abattez-les. Les enfants viendront manger plus tard.
-Oui, père.

L'homme se tenait agenouillé devant une Sentinelle dont le torse s'inondait de sang. Il sortit une lame à la forme étrange, torsadée, gravée, incrustée et la lui plaça pointe vers le cœur.

-Comment... Comment avez-vous pu pénétrer nos défenses ?

L'homme leva les yeux vers le visage agonisant du soldat et sourit, silencieux. La dague se décala de quelques centimètres et s'enfonça avec précision et méthode dans son poumon gauche. La Sentinelle tressauta alors que le sang remontait jusqu'à sa bouche, coulant par la commissure de ses lèvres. Il toussa avec difficulté alors qu'il commençait à se noyer dans ses propres fluides. La dague ressortit du poumon et se ficha avec la même délicatesse dans le droit. La Sentinelle leva péniblement une main et agrippa le bras de son agresseur. L'écume au niveau de sa bouche devint de plus en plus rouge alors qu'il sombrait. Sa main retomba mollement sur son flanc, inerte. L'homme le poussa du pied sur le sol et une fois sur le dos, il l'admira en train de se noyer.

-Père, il nous faut avancer avant que les enfants arrivent.
-Je sais, mon enfant. Ne tardons pas. Nous suivons le chemin, il ne nous arrivera rien, conclut-il en portant la main à son cou. Ses doigts suivirent les formes étranges gravées dans sa chair, la cicatrice de tant de brûlures que sa gorge en était recouverte. Toutes avaient la forme de dents immenses. Il baissa les yeux sur le collier qu'il portait et dont les maillons reprenaient si bien ces formes qu'ils les épousaient.

Le père se tourna vers le couloir qui lui faisait face et réfléchit. Le sang sur la dague coula jusqu'à sa main, ses doigts puis le sol. Toujours en la tenant, il libéra son index et son majeur et les apposa sur le mur près de lui. Il ferma les yeux et murmura d'étranges mots :

« Kel ch'ara Se'er.
Mlui ktekl Taarh. »

Les murs se diluèrent, fondirent les uns dans les autres. Un passage s'ouvrit devant eux et le père sourit en emmenant ses enfants plus profondément dans l'édifice. Quand le dernier d'entre eux fut passé, le mur se reforma suffisamment vite pour que Ses enfants ne puissent pas les atteindre. A la place, ils se jetèrent sur les piles de corps qu'ils leur avaient laissé.

*

Il ne resta autour de Léon plus que cet ultime couloir. Le sang était présent partout. Il ne vit pas un seul centimètre carré de papier peint qui n'en fut pas recouvert. Le sol était inondé d'une mélasse ferreuse et rouge. Il ne s'en n'était même pas rendu compte. Tout était simplement devenu plus rouge, de plus en plus rouge, jusqu'à ce qu'il ne reste que ça.

Léon se rendit compte, en entendant un murmure, une plainte, que le silence lui-même s'était changé en sang, le son était devenu une couleur. Dans cette couleur, il vit des formes, des lettres, des symboles, des visages, ceux d'enfants, ceux de morts, ceux d'enfants morts. Il tenta de détourner le regard mais ses yeux finirent inlassablement par tomber sur le visage d'un autre enfant. Léon hurla :

« Ça suffit ! »

Et sa voix fit trembler les murs. La lumière hésita, clignota puis revint à la normale, éclairant un couloir bien plus long et bien plus inondé de sang qu'auparavant. Léon fit un pas dans ce couloir interminable, tenta d'accéder à cette porte au bout du tunnel, persuadé que Suzie l'y attendait. Chacun de ces pas s'avéra difficile, tortueux. Ses bottes s'extirpèrent avec difficulté de la mélasse pour y replonger quelques dizaines de centimètres plus loin. A chaque pas, Léon découvrit une paire de portes devant lui, à portée de main. Une peur terrible, indicible le saisit alors. S'il était sûr de ce qu'il trouverait au bout, il avait bien trop peur pour vouloir deviner, comprendre ce qui se cachait dans les recoins de cet immonde édifice. Il ne réalisa que trop tard cette pensée car sa main libre se tenait déjà sur l'une des poignées. La porte s'ouvrit, poussée par une morbidité qu'il n'avait pas eu le loisir de voir venir.

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