Chapitre 4

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Il claqua la porte dans son dos, se demandant s'il pourrait entrer de nouveau sans Don si le besoin s'en faisait sentir. Sa main s'avança vers la poignée et s'arrêta à quelques centimètres. Pourquoi Léon s'inquiétait-il? Il allait rejoindre Don et celui-ci lui expliquerait clairement de quoi il s'agissait.

Léon ferma son manteau, cacha sa frange sous un chapeau de feutre et sortit braver la météo qui empirait de jour en jour. La pluie avait frappé aux fenêtres toute la nuit durant.

Dans un recoin de son esprit, Léon organisa l'ensemble des informations qu'il avait enregistré des cas présents sur le bureau de son ami. Étaient-ils tous liés ou était-ce le hasard qui avait amené toutes ces disparitions au pas de la porte du détective privé ?

*

Le Dr. Herliet se pencha en avant au-dessus de la table et activa le microphone.

-Rapport du médecin légiste Herliet sur le sujet non-identifié du 6 Novembre. Le sujet est un mâle caucasien d'une cinquantaine d'année et d'un mètre quatre-vingt-deux. Hygiène dentaire déplorable probablement due au tabac, signes flagrants d'alcoolisme et de présence de scarifications en haut des cuisses près de la région pelvienne. Le sujet a été retrouvé dans la rivière, flottant entre deux eaux. Le cadavre aura été aperçu par des automobilistes en pause au bord de la voie. La cause probable est la noyade, rendant la température du foie moins éloquente, cependant la rigidité des membres situerait l'heure du décès tôt dans la matinée. La gorge du sujet est tuméfiée et une marque de brûlure ou de constriction se situe tout autour du cou. Aucune autre trace de lutte. Le dessous des ongles est sale, mais leur état est cohérent avec une personne dérivant dans la rivière. Vérifier les signes de strangulation.

[...]

-La victime n'a pas été étranglée, je penche plutôt pour un accident ou une noyade. Reste à déterminer d'où elle est tombée. Présence d'eau dans les poumons : cause du décès avérée, la noyade.

[...]

-A la date du 10 Novembre, personne en dehors de la police, malgré le signalement, n'est venu identifier la victime, nous orientant de nouveau vers un suicide. Les origines de ce disparu demeurent inconnues.

*

Léon mit la note dans sa poche et se dirigea vers l'extérieur. Il dévala les quelques marches qui le guidèrent jusque dans le café du rez-de-chaussée et sortit. Le patron le reconnut et lui fit un signe de la main.

-Oh, gamin ! Tu nous reviens enfin ?

-Bonjour, Hugo. Oui, je viens filer un coup de main à Don, tu sais comment il est.

Hugo sourit et s'en retourna à ses occupations. Léon prit la direction de l'hôpital Sainte-Cécile après avoir regardé un plan. Cette ville, bien qu'elle l'ai accueilli quelques mois quand il travaillait avec Don, le laissait toujours indécis, perdu. Une vague brume flottait entre les maisons et les immeubles, rendant l'humidité palpable, tangible, l'atmosphère opaque étouffait les sons et les gens.

Passant sur le pont des Nicolas, Léon se pencha pardessus le rebord et frissonna. C'était là qu'il avait donné rendez-vous à Anna pour la première fois. Cela faisait si longtemps qu'il ne l'avait pas vue, une vague de nostalgie le surprit et une bourrasque l'en libéra. Léon réajusta son chapeau et se remit en route, à l'horizon, au bord de mer, là où la rivière se jetait dans les eaux salées du golfe se tenait l'hôpital Sainte-Cécile.

Il se mit à pleuvoir et Léon avait l'impression que jamais cela ne s'arrêterait.

*

La terre craquelait sous leurs bottes noires. Les traces de crampons dans le sol trahissaient leur venue. Un voile gris sombre s'étendait dans le ciel à perte de vue comme si même le ciel faisait son deuil suite à cette catastrophe.

Malosane prit la tête de son unité et amorça le mouvement. La ligne de crête en béton qu'entourait des kilomètres carrés de goudron apparaissait à l'horizon : « En avant la troupaille, on reste sur ses gardes deux par deux. »

Les membres de son escouade se mirent en formation et progressèrent avec prudence jusqu'à la ligne jaune, tracée à même le sol avec une peinture métallisée. On pouvait la voir de loin, scintillant dans la nuit. Cette ligne marquait la troisième strate autour de la sphère. Une fois celle-ci dépassée, on ressentait déjà une faible attraction. Chaque pas vous approchait un peu plus qu'il ne le devrait.

Les ruines alentour vibraient faiblement alors qu'ils franchissaient la ligne jaune.

*

Le hall blanc empestait les produits antiseptiques, irritant les narines même du personnel hospitalier. Léon, patient, attendait assis sur une chaise dans une salle d'attente bondée. Il regarda sa montre fréquemment sans se demander pourquoi autant de gens l'entourait.

On appela son numéro et il se dirigea vers un comptoir derrière lequel se cachait un homme blanc en blouse blanche. Derrière ses petites lunettes, il lui demanda ce qui l'amenait.

-Bonjour, Léon Zebonzes, j'ai appelé tout à l'heure pour le compte du cabinet d'investigation privée « A & D »...

-Ah, oui, en effet, Mr. Zebonzes. Votre collègue est déjà passé avant-hier soir d'ailleurs. Vous vouliez autre chose ?

-Vous dites que quelqu'un est déjà passé ? Quand ça ?

-Avant-hier soir, comme je viens de vous le dire.

-Oui, pardon. Excusez-moi, je souhaitais savoir à quelle heure. Je n'ai pas pu joindre mon collègue depuis, je pensais qu'il était encore ici.

-Non, il est arrivé à 22h24 et est reparti deux heures plus tard environ, à... 00h17 apparemment.L'employé de l'hôpital avait l'air un peu surpris, il vérifia le registre et tiqua sur l'heure.

-Ce n'était pas vous qui l'avez réceptionné ?

-Non, c'est mon collègue. Il commence son service d'ici vingt minutes, vous souhaiteriez lui parler ?

-Oui, merci, mais en attendant, j'aimerais voir monsieur... Fleskilh s'il vous plaît, dit Léon en relisant la note de Don.

*

Ils regardaient les écrans de la salle de commandes. La plupart diffusaient des images satellites de la sphère. De près -d'aussi près que possible- comme de loin, elle était terrifiante. L'orbe d'une noirceur sans fond aspirait même la lumière, comme un trou noir solidifié, compact. Tel un dieu, la sphère semblait descendue sur Terre.

Le cratère d'impact arborait une forme de bol. Entre elle et le sol, tassé, filtré par l'aura mystérieuse de l'astre. Ce n'était pas la mort, c'était le vide. Plus aucune trace de vie ne subsistait dans un immense rayon autour d'elle. Les barrières de sécurité et les avant-postes de l'armée se positionnaient à une distance de sécurité très largement estimée. Aucun risque ne pouvait être pris avec la Sphère.

Pour l'instant, elle s'était calmée, mais combien de temps est-ce que cela durerait ? Sara se dit qu'il valait mieux prendre les devants quand l'avenir de tant de personnes dépendaient d'eux.

*

« J'ai dû me rendre à la morgue fiston. Ne m'attends pas, installe-toi, fais-toi un café.

L'un de mes gars disparus a été retrouvé on dirait, bien mort, noyé. Je file voir les bilans du légiste et le corps en question.T'as le bonjour de Phil d'ailleurs. Il est toujours à la rue, mais il en est toujours content. Passe le voir en m'attendant si tu veux, tu sais où le trouver. Sinon, les dossiers sont sur la table, tu commences par celui que tu veux. De toute façon, fiston, c'est toujours la même histoire : des zonzes qu'ont disparu. Y en a plein en ce moment.

Don. »

Léon serra le poing, réduisant la note de son ami à une boule de papier sale.

Le corps étiqueté « Fleskhil O. » sur la table d'autopsie n'était pas celui d'un inconnu, c'était celui de Don.

La SphèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant