Chapitre 49

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Léon se saisit négligemment du corps décapité de Cassandre et le traîna jusqu'au manoir désolé et recouvert de flammes. Il le jeta dans l'entrée et recula de quelques pas. Le vue qu'il avait de cette affliction le dégoûta. L'odeur de la chair en feu, le crépitement de l'incendie et la puissante chaleur qui s'en dégageait se mélangeait à l'air, assaillait ses sens déjà bien meurtris.

Il s'attendit à ce qu'une conduite de gaz n'explose, à ce que le domaine De Filzerain ne soit réduit en miettes et en poussière, mais une pluie fine et sale interrompit les flammes dans leur grand œuvre. Léon observa l'incendie continuer, se battre pour sa cause, mais il n'eut pas de temps à consacrer à s'assurer la mort de tous ces monstres. Cassandre et ses hôtes avaient péri, le toit s'écroulait tout à fait et il eut l'idée sordide que rien n'en ressortirait d'autre que ce vide si omniprésent au bout de la table. Contre cela, il sut qu'il n'avait aucun pouvoir. Il fit demi-tour et se dépêcha de rejoindre l'enfant cachée dans le bureau de Don. Léon pria pour qu'il ne lui soit rien arrivée et qu'elle l'ait attendue aussi sagement qu'elle l'avait promis.

Une pensée l'arrêta au bord d'un trottoir. L'inondation n'avait jamais fui la ville. Toute l'eau qui s'y était accumulée avait décidé de rester, de s'imposer. Du haut de ces quelques centimètres de goudron et de pierre, Léon se pencha, observa le sol au-travers de l'eau. Son reflet se sur-imprima, changeant, ondulant avec la faible brise matinale. Suzie avait bien dit que l'heure arrivait, que quatre heures sonneraient. Il avait vaincu, il avait tué Cassandre, incendié ses entrepôts, son orphelinat et sa maison... Léon se demanda ce qu'il restait. Qu'y avait-il donc d'autre à faire ? Qu'étaient ces gens, ces abominations sans la femme qui les guidait ? Margot aussi avait péri, alors que restait-il à faire ? Qui restait-il à abattre pour que ce cauchemar s'arrête, qu'il se réveille enfin ?

Léon ne vit plus que son reflet dans l'eau. Il se demanda si ce n'était pas lui qui restait à faire taire. Il en savait trop, il en voyait trop. Les disparus, les morts, les sacrifiés. Les hommes, les femmes, les enfants. Les ombres, les choses, les monstruosités. Les cultistes, Cassandre, Margot. Entre les couloirs sombres et les inquiétantes lumières, les squelettes sans chair, les sourires pervers, la mort, le vide et l'éther... Il n'y avait plus que lui. Le détective porta son revolver à sa bouche, peina à avaler sa salive et l'y inséra. Le goût du canon envahit sans bouche, lui donna la nausée. Il pleura à chaudes larmes, acceptant avec douleur et réconfort la fin de cette épreuve terrifiante qu'il n'aurait jamais pu oublier. Il se demanda, l'espace d'un instant, si Bale avait jamais pu oublier. Il se dit que non et se rappela la dernière fois que l'ouvrage s'était manifesté. Il se rappela comment sa jambe, en écrivant, l'avait grattée.

Le visage dans l'eau se divisa, changea tout à fait. Léon y vit celui de Cassandre à moitié, puis celui de Suzie en entier. Un frisson le fit trembler, le carnet de voyage d'Ernest Bale, caché dans sa poche, venait de vibrer.

Léon l'en sortit, l'ouvrit rapidement à cette dernière page encrée. Il y trouva deux mots et il sut que Bale n'en avait jamais écrit les lettres. Il ne restait plus rien, plus personne d'autre pour former ces mots, pour l'appeler lui. Léon courut comme jamais il ne l'avait fait. Les rues s'enchaînèrent dans un dédale de béton, dans un torrent de pas et de pleurs. Il ne fit que courir et prier qu'une fois au moins, il ne serait pas là trop tard. Les mots résonnèrent encore et encore dans sa tête. Encore et encore.

« A l'aide. »

*

«Rapport d'enquête mené par le capitaine Ferthe.

Suite à la séance d'interrogatoire dans la salle numéro +information retirée du compte-rendu+ du +information retirée du compte-rendu+ étage de la caserne +information retirée du compte-rendu+ en date du du [code-date-4V-6], un officier et un sous-officier ont perdu la vie après le déclenchement de l'une des choses. Il s'agit là de la première occurrence d'une naissance par parasitisme observée en direct. Des liens entre la situation actuelle et les rapports du docteur Klüger ont rapidement vus le jour.

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