Chapitre 9

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Fasciné par le collier, Léon tendit la main, sa lampe fixant alors le sol, s'éloignant autant que possible de ce bijou étrange. Léon l'entendit parler, l'entendit chanter. Des voix dansèrent dans sa tête, des murmures doux et sirupeux. Des mots inconnus formèrent des phrases. La voix qui les portait était des plus étrange, si familière.

Léon se rendit compte qu'il avait déjà le collier en main. Il se rendit compte que sa lampe gisait au sol. Il se rendit compte qu'il n'était plus dans la salle près de l'autel. Il entendit une porte claquer derrière lui, se retourna, retint un nouveau cri.

De retour dans le bureau de Don, ses yeux s'écarquillèrent, ses iris se dilatèrent, son cœur battit plus vite, tellement plus vite. Une porte, celle qu'il avait entendu claquer, se tenait au milieu de l'office. Sans mur pour la porter. D'un bois vermoulu, elle grinçait sans qu'on la touche, se balançait faiblement d'avant en arrière.

Non... Ce n'était pas la porte qui oscillait, c'était le monde autour d'elle. Le monde, le bureau, lui. Léon voulut ouvrir la porte, voulut se saisir de la poignée mais elle était de plus en plus loin, de plus en plus glissante. La voix lui parlait toujours.

La porte s'ouvrit, elle révéla une pièce sombre. Dans l'encadrement, une silhouette se dessina, hésitante, chancelante puis lui parla. Elle avait un collier dans la main et une lampe gisait à ses pieds, éclairait des formes étranges dans son pinceau, des formes qui riaient.

*

-Il est mort de quoi celui-là, demanda Hans en levant un sourcil, plus intrigué que choqué.
-Docteur, il s'est vidé de son sang, entièrement.

Hans se pencha sur le cadavre. Il n'en restait qu'une masse informe d'os et de matière cérébrale. Le tout était contenu dans un sac de peau.

-Qu'est-ce qui a pu faire une chose pareille à ce... cette brave fille ? Il avait eu du mal à déterminer le sexe du cadavre grâce aux indices habituels, le corps étant sans dessus-dessous. Il regarda le tag sur le brancard : vide.
-On n'a pas pu l'identifier docteur, navré.
-Ne vous en faites pas pour ça, je doute que dans cet état même sa famille veuille la voir. Pourquoi vous me l'avez amenée ? Hans s'arrêta avant de préciser « sur un brancard ». Sa mauvaise humeur ne devait pas dépasser le cadre du raisonnable mais les treize heures qu'il avait passé ici presque sans se reposer ni manger l'avait maintenu à bout de nerfs. Il se dit qu'un sac aurait été plus utile pour transporter ce cadavre, il y avait des gens encore en vie qui en auraient plus besoin qu'elle. Il reprit : « Vous ne pensez pas que j'ai assez de patients à sauver pour que vous m'ameniez des morts ? »

Les soldats qui l'avaient amenée s'excusèrent, un peu gênés.

-Désolé, docteur Kluger, mais c'est le dernier.
-C'est le dernier ?
-Oui, docteur, intervint le second. Tous les autres sont déjà morts. On a pensé que vous voudriez l'exa...

Il leva une main vers eux et se retourna, le coupant dans sa phrase. Il jeta un œil par la fenêtre plastifiée de sa salle d'opérations improvisée et souffla. La mort tragique et incompréhensible du dernier corps qu'on lui avait rapporté disparut de ses pensées, il n'y pensa plus, s'effondra sur le sol et pleura.

Ses petites lunettes rondes dans l'une de ses mains, un mouchoir sanguinolent dans l'autre, Hans resta inconsolable. Tant étaient morts aujourd'hui. C'était enfin fini. Le malheur s'était arrêté.

*

Léon observa avec terreur la silhouette de l'autre côté de la porte, n'osa plus bouger. Autour de lui, autour de la porte, le bureau de Don clignotait d'avant en arrière, de haut en bas. Léon sentit les meubles coulisser, glisser le long d'axes qu'il ne percevait pas, qui n'auraient pas dû exister.

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