Le sans-abri tressaillit, faillit lâcher sa boisson. Ses mains s'étaient crispées violemment et ses yeux se remplirent de tristesse. Léon le vit hésiter.
-Je suis désolé, dit-il.
-Non, c'est moi qui suis désolé, Phil. Désolé d'être arrivé trop tard pour Don. Il comptait beaucoup pour mon père et moi. Je sais qu'il comptait aussi énormément pour toi. J'aurais dû être là plus tôt. J'aurais dû être là tout court.Léon se surprit à trouver de l'émotion dans sa voix. Il sentit des larmes qui lui montaient aux yeux. Ses joues se tendirent, un spasme tentait de tirer ses pommettes vers le haut, il voulut se forcer à sourire.
Phil se leva, posa le café sur le bureau et vint s'installer près du détective : « Que lui est-il arrivé ? ». Léon lui jeta un regard coupable, ouvrit la bouche et se ravisa.
Les mots se pressaient à ses lèvres sans sortir. Et si ce dont il avait eu besoin pendant ces trois longues semaines d'enquête, c'était d'un compagnon? Si Don était encore en vie, partagerait-il les horreurs qu'il vivait avec lui? Etait-ce si simple? Avait-il seulement besoin d'un ami qui pourrait l'épauler dans l'enfer qu'il traversait?
Une forme passa au dehors et se pressa contre le mur extérieur sans que Phil ne le remarque. La mort du vieux détective n'était que le moindre de ses soucis au vu du chaos qui serpentait sur son chemin. Léon fixa l'ombre qui s'étendait en silence.
Au bout d'une minute, Léon avala sa salive puis but une gorgée de café avec difficulté. L'amertume dans sa boisson occultait toute autre sensation, il n'était plus que ça, de l'amertume. Il s'apprêtait à résumer à Phil la situation quand l'image des choses par-delà les fenêtres, par-delà les portes et les miroirs, par-delà les morts et l'eau. Le phare et ses lampes tournoyantes refit surface, l'aveugla, plongeant Phil dans une débâcle d'ombres et de lumières sous le regard éteint de Léon.
Sur le sol, des tentacules sombres et gluants rampaient en gémissant vers les jambes du sans-abri. Il comprit que chaque mot qu'il dirait, chaque question à laquelle il répondrait, plongerait Phil dans la même douleur que lui. Il s'abstint d'en dire plus : « Rien que je ne puisse te dire, Phil. Don est parti, maintenant y a que moi. »
Et les formes se rétractèrent, se dissipèrent avant de disparaître. Léon n'eut aucun mal à comprendre la menace : il serait seul.
*
Une fois la coupelle suffisamment remplie, les deux acolytes qui la tenaient trempèrent simultanément deux doigts dans le mélange de drogue et de sang puis tracèrent des inscriptions, des motifs complexes sur le torse de l'animal.
Une fois décoré, on distinguait deux cercles de chair nue au niveau de chaque poumon.
Cassandre y plongea tour à tour la lame. Le sang du sacrifice remonta les plaies, s'écoula sur le corps puis sur l'autel qui s'en gorgea jusqu'à ce que le liquide y révèle des motifs semblables.
L'animal se mit à tousser violemment, se réveilla en sursaut et s'agita sur la table. Des mains surgirent de l'ombre, le saisirent et l'empêchèrent de se redresser, de tomber à la renverse. Il cracha du sang à mesure que celui-ci envahissait ses poumons, le noyait.
Les dernières bulles d'air se perdirent dans un étrange gargarisme qui remontait sa trachée, dépassaient ses lèvres dans un râle d'agonie des plus grotesques.
Quand le silence revint, la dernière lumière vacilla à l'étage, s'éteignit. Ce qu'elle n'éclairait plus, c'était une chaise renversée, une assiette vide et sale, des couverts gluants et un verre brisé, vide lui aussi.
*
Léon raccompagna Phil jusqu'à la porte vitrée qui menait au couloir. Il ne dit rien en apercevant les traces de sang qui tachaient les meubles, pas plus qu'il ne questionna Léon sur son air de plus en plus éteint, soumis.
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La Sphère
HorrorLa sphère est un roman constitué de courtes scénettes qui dépeignent la rencontre de personnages que tout oppose mais qui gravitent tous autour d'une chose, la Sphère. Elle les appelle à elle et ils viennent tous, immanquablement. Découvrez chaque j...