Chantant à tue-tête dans les couloirs, elle sautilla, pleine de joie. La nuit était si belle qu'elle se crût en plein jour. Le silence ne se brisait que sous ses pas, sous ses mots, sous Ses mots. Maïa progressa avec délicatesse et volupté de pièce en pièce, de salle en salle, frappant avec adresse, profitant de la surprise, de la peur, de la panique, de l'incompréhension de quiconque eut pu la croiser.
Elle se laissa guider par ses souvenirs, par ses connaissances, par ces heures entières dédiées à l'apprentissage des lieux, de leurs coins et de leurs recoins. La Sentinelle savait exactement où trouver qui, ou trouver quoi et comment s'y rendre. Le dédale de pièces et de couloirs de la caserne lui fit penser à un labyrinthe qu'elle connaîtrait par cœur.
Maïa se déplaça d'unité en unité, faisant le travail, accomplissant l'office de dizaines d'assassins, de meurtriers, choisissant avec soin la chambre des officiers dans laquelle elle s'infiltrait, comment elle les tuait, comment elle les empêchait de fuir, de s'enfuir, d'alerter. Elle récupéra sur chacun d'eux les précieuses cartes, les précieuses clefs de tant d'entre eux. En deux heures à peine, la traîtresse subtilisa les identifiants et les codes et cartes d'accès à certains des lieux les plus importants de la base des Sentinelles. A chaque chambre qu'elle visitait, un nouveau gant en plastique s'accrochait à sa ceinture, retourné et plein de sang. Quand elle sautillait en psalmodiant, les mains vides sautèrent avec elle, se prêtant à sa danse morbide.
Le chemin vers les tours de contrôle du secteur Nord s'ouvrirent devant elle. Un homme de grande taille, lui aussi une Sentinelle, se tenait dans le cadre de la porte. Il salua Maïa.
« Kel ch'ara Se'er.
Mlui ktekl Taarh. »Elle lui rendit son salut en montrant un petit chapelet qu'elle avait accroché à sa main droite. Enroulé deux fois autour du poignet, le fil d'acier semblable à un barbelé était perclus de dents. Le sang n'avait pas fini de sécher sur ces perles humaines qu'elle fit tourner entre ses doigts.
-Vous avez les codes ?
-Oui, frère. Il est temps d'ouvrir le bal.« Kel ch'ara Se'er.
Mlui ktekl Taarh. »Les mots, répétés en cœur leur donnèrent de la puissance, de la force. Maïa s'avança dans la salle de contrôle et observa les quelques cadavres entassés dans un coin. Son frère avait fait le ménage dans les opérateurs présents. Ils s'installèrent chacun à un poste face à face et préparèrent les commandes de désactivation des tourelles anti-aériennes. Il suffit d'un simple bouton, de deux cartes d'accès et des pouces de leurs anciens propriétaires.
Un bruit sourd accompagna l'arrêt des défenses automatiques de la base puis une alarme si assourdissante qu'elle couvrit les murs qui explosèrent de part et d'autre. L'attaque venait de débuter.
*
Longeant les longues routes qu'il avait crû disparues, Léon traversa la ville vers l'est, cherchant l'océan et la mer. Il s'arrêta quelques minutes devant l'hôpital Sainte-Hélène, entra dans le cimetière qui accueillait la tombe de Don et de sa femme. Les larmes coulaient toujours sur ses joues, brûlaient ses yeux. Du doigt, il effleura la gravure qu'il avait faite sur la pierre tombale, il lut le nom de son mentor, le prononça à voix basse, ne dépassant jamais la barrière de ses lèvres, respectant cet affreux silence que la ville lui imposait.
-J'ai peur, Don, dit-il au vent. J'ai peur d'avoir perdu, de n'avoir même pas pu jouer, d'avoir perdu avant d'avoir commencé.
Le vent, ce vent qui porta ses paroles au loin s'en revint, lui caressa le visage, fit s'envoler ses larmes comme un parent attentionné. Léon leva les yeux et espéra trouver plus que la brise, plus que la solitude. Il eut une pensée pour Suzie, se demanda si elle comptait vraiment, si toutes ces recherches servaient à quelque chose. Il ne sauverait personne d'un fléau qui avait déjà englouti toute une ville. Il ne se sauverait jamais lui-même.
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La Sphère
HorrorLa sphère est un roman constitué de courtes scénettes qui dépeignent la rencontre de personnages que tout oppose mais qui gravitent tous autour d'une chose, la Sphère. Elle les appelle à elle et ils viennent tous, immanquablement. Découvrez chaque j...