Chapitre 23 : Une foudre engrammée sous la peau

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   Si le corps subsistait indépendamment de l'esprit, on pourrait souffrir encore et encore sans jamais changer de comportement et ce, tout au long de notre vie. Et alors les traumatismes corporels n'existeraient pas et la santé mentale de l'humanité se limiterait entièrement aux perceptions émotionnelles de sa psyché. Or, notre sphère pensante subit autant — si ce n'est plus — que notre physique. Ainsi, l'ordre naturel des choses voulut que Soïli ressortît différent de son châtiment.

Bien qu'il suivît les entraînements journaliers ainsi que les cours de théorie sur le tatamis, le garçon prenait soin de ne pas se mêler aux autres, d'éviter la foule et les interactions de quelque nature qu'elles fûrent. Lui qui avait pour habitude de ne se soucier de rien, que ce fut les mains baladeuses d'Eli sur sa taille ou celles d'Artième dans ses cheveux, s'était mis à craindre le contact comme la peste. Il se tenait constamment les bras croisés, tentant de le limiter autant que cela pouvait être possible lorsque l'on vit en communauté, se méfiant de chaque personne qui bougeait un peu trop près de lui.

Si on venait à le toucher maladroitement ou amicalement, il s'écartait d'un pas ou chassait la main d'un revers de poignet sec et inconscient. Ce n'était pas tellement qu'il s'était mis à craindre les autres ou bien qu'il ne faisait plus confiance à personne, mais qu'il avait la sensation que sa peau était brûlée entièrement. Ce n'était pas le cas, et il en avait conscience, cependant ses nerfs nociceptifs reagissaient positivement dès qu'une autre peau entrait en contact avec la sienne.

Ainsi, en dehors des entraînements où l'uniforme était imposé, il se couvrait de vêtements longs et épais et restait dans sa chambre, déclinant toute sortie nocturne.

Au bout de plusieurs jours d'isolement presque total, Soïli se força à reprendre le contrôle sur son corps. Il serait bien resté à l'écart plus longtemps si sa vie était la seule chose en jeu. Sauf que, plus les jours passaient, et plus la culpabilité grandissait en lui. Car avec la précieuse information qu'il avait été parvenu à récolter, il n'avait rien trouvé de mieux à faire que de tenter de l'oublier pour sa propre santé mentale.

Néanmoins, il s'agissait là de sa clé vers la fin de son calvaire, et il ne lui manquait plus qu'à trouver la bonne serrure dans laquelle l'insérer. Pour cela, il se devait d'arracher plus de détail à cette organisation, de la comprendre davantage. Alors, un soir, celui du vingt-trois décembre pour être précis, il s'appuya contre le mur près de la quatrième chambre des juniors et patienta. Moins de dix minutes plus tard, Lucas en sortit.

   — Soïli ?

   — T'es libre ce soir ?

   — J'avais quelque chose de prévu mais je peux annuler si c'est urgent. Après... Art' est dispo, lui.

   — J'emmerde Artième.

Le Brésilien rit légèrement, lui demanda de patienter le temps qu'il se préparât et ressortit de sa chambre quelques minutes plus tard. Ainsi, les deux juniors quittèrent le club alors que la pénombre nocturne enveloppait déjà la ville d'Édimbourg. Ils firent quelques arrêts pour prendre des bières, burgers et autres confiseries interdites dans à Wilson et s'installèrent sur le banc du parc le plus proche.

   — Avant de commencer, introduisit Lucas, dis moi comment tu vas.

Soïli tordit les capsules en aluminium de leurs boissons à l'aide de son briquet, lui en tendit une et commença à descendre la sienne.

   — J'ai connu mieux.

   — J'imagine mais...

Lucas fixa le garçon du regard, espérant y repérer un soupçon de faiblesse qui prouverait qu'il avait bel et bien besoin d'un soutient émotionnel. Mais plus ses yeux se plongeaient dans les siens et plus il avait l'impression qu'une carapace se formait autour de Soïli, comme pour lui rappeler qu'un homme qui s'oublie depuis trop longtemps ne peut réagir positivement lorsqu'on le rappelle à lui-même.

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