Chapitre 47 : Irénisme joué

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À la fin du récit, Soïli ne pleurait plus. Il hoquetait encore légèrement, les yeux secs mais les joues encore humides. Son regard était lasse, ses muscles aussi et plus rien ne faisait battre son cœur. Il s'agissait là d'un état si extrême du désespoir qu'il aurait presque pu y trouver de l'agréable. Mais, la tête reposée contre la poitrine de l'homme à l'origine de ses tourments, le corps enveloppé et rassuré par ce même homme, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il devait être sacrément bousillé pour apprécier son touché.

Isaac chassa sa frange de son front humide, du bout des doigts et d'une délicatesse si irréprochable que le chasser aurait été perçu comme barbare.

   — Demain matin, un voiture viendra te chercher à cinq heure pour t'emmener à l'aéroport, commença-t-il d'une voix calme. Ton avion pour Naples décolle à sept alors tu auras le temps de trouver la bonne direction. Une fois en Italie, un homme viendra te récupérer pour te conduire à une maison de campagne où tu devras rester pendant quatre mois. Il s'agit du temps que l'on prendra pour comprendre que tu ne te trouves plus au Royaume-Uni. Cependant, pour éviter toute complication, tu te rendras à Singapour jusqu'à la fin de l'année puis à Montréal six mois supplémentaires. D'ici là, tout sera réglé et tu pourras retrouver ta mère.

Soïli l'écouta passivement, respirant calmement et cette même expression lasse sur son visage ; avant de se résoudre à faire vibrer sa voix enrouée.

   — Je n'irai pas, souffla-t-il.

   — Il le faut pourtant.

Ses yeux dévièrent vers ses mains écrasée par son révolver inutile, froid et lourd, et il songea une dernière fois à l'utiliser.

   — Je deviendrai un Kovaleski. Et je les tuerai tous. Tous. Lentement. Un à un.

Il leva les yeux au ciel. Non pas celui neutre et inerte du plafond, mais celui doux malgré son air indifférent, froid malgré la chaleur qu'il communiquait ; les yeux de Günther. Dans ce regard, il vit son reflet : celui d'une fragile chose qui ne demande qu'à être protégée. Et il détesta son visage. À bout de bras, il leva son arme, les muscles tremblant d'effort et il pressa le canon juste entre les deux sourcils d'Isaiah. Son indexe sur la détente, il suppliait son corps de se taire sur l'horreur qu'un tel acte lui faisait ressentir. Ses entrailles se retournèrent et la haine dans la gorge, il pesta :

   — Toi en dernier.

Isaiah saisit prudemment l'arme, la tira des doigts de Soïli et les posa lentement sur sa nuque. Et comme pour sceller un pacte, leurs lèvres se rapprochèrent comme avec timidité, se frollèrent encore un peu pour laisser le temps à leur deux corps de savourer le désir qui grandissait pourtant si violemment, avant de s'échouer dans ce trop plein d'immoralité. Ils s'embrassaient pour ne plus avoir à discuter, à penser ; trouvant plus d'intérêt à assouvir quelques inclinations plutôt qu'à alléger leur conscience.

Ce fut alors tout naturellement qu'Isaac déposa Soïli sur le lit pour venir ajouter à ses torts. Il le couvrit de sa vulnérabilité, l'effleura en douceur malgré les griffures qu'il infligeait à son âme, et le laissa se brûler contre les flammes de ses désirs. Crispés, ils n'avaient jamais été aussi étroits l'un de l'autre, n'épargnant aucun morceau charnel de leur touché, refusant de se laisser respirer autrechose que le souffle de l'autre, et d'entendre autrechose que les très brefs mots que l'on bruit plus malgré soi que pour l'autre.

Cela dura le temps que Soïli prit pour s'endormir, soit bien avant le petit matin.

Ce fut donc sous la lumière timide du soleil levant de cette mi-février là que Soïli et Isaac s'arrétèrent devant un château en périphérie d'Édimbourg. Avec ses briques d'un gris aux reflets bleutés, ses hautes fenêtres modernisées, ses toits aux finitions minutieuses et tranchantes plus synonymes du style gothique que géorgien, la demeure prenait la forme d'un assemblage désordonné de tours et de maisons plus ou moins basses. Et peut-être à cause des quelques rayons du soleil, étouffés qui plus est par les lourds nuages propres au littoral, l'ombre qui découlait de cette structure était plus sombre encore que les pensées qui enveloppaient Soïli à ce moment-là.

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