Chapitre 40 : Contre-sens

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   Plus que le bruit cognant et chaotique qui raisonnait dans la maison, ce fut un rayon croissant qui tira Soïli de son sommeil de plomb. Il fronça les sourcils en laissant lourdement tomber sa main sur ses yeux, les frottant douloureusement alors qu'une sensation effroyable lui prenait à la tête. Il se redressa lentement, passa ses doigts aux travers de sa frange et finit enfin par poser son regard sur l'enfant qui venait d'ouvrir la porte.

La chambre d'Artième était plongée dans le noir, conservant cette fraîcheur matinale et agréable malgré les fortes lueurs du soleil qui s'immisceaient dans les quelques fentes des stores baissés. Cependant, ce fut la lumière presque blanche qui venait du couloir, qui avait dérangé Soïli. Encore un peu endormi, il fixa le petit garçon qui se tenait sur la pointe de ses orteils en s'accrochant à la poignée.

   — Le petit-déjeuner est servi, annonça-t-il de sa voix flutante.

Gessner frotta son visage de fatigue en soupirant très légèrement, avant de poser ses pieds nus sur le parquet glacé. Il marcha vers l'enfant avec cette sorte de nonchalance qui lui collait à la peau, remarquant qu'Artième lui avait enfilé un tee-shirt graphique et un pantalon de pyjama qui flottaient littéralement sur lui bien que sa carrure ne fût pas si éloigné de celle du Sicilien. Le petit garçon lâcha la porte et glissa sa main dans celle de l'invité en le fixant de ses grands yeux verts. Soïli referma simplement ses doigts, sans vraiment s'inquiéter de cette affection trop soudaine à son égard et se laissa guider.

   — Tu t'appelles comment ? J'aime beaucoup tes cheveux. Tu ressembles à une princesse. Ton visage aussi ressemble à une princesse. Tu veux être ma copine ?

   — Soïli, s'appliqua à répondre ce dernier en ignorant toutes les autres remarques.

Ils descendaient un escalier étroit, aux marches irrégulières et au bois un peu ébréché.

   — Moi c'est Elio. Tu veux être ma copine ? J'ai déjà trois copines à l'école. Léa m'a dit que je devais en choisir qu'une pour me marier mais je préfère en avoir plus pour quand je serais plus grand. Léa c'est ma première copine, après y'a Rose et aussi Lise que j'aime bien. Mais Rose ne m'aime pas beaucoup parce que je suis amoureux de Lise.

   — Je vois.

Lorsqu'ils débouchèrent dans la cuisine qui servait également de salle à manger et de salon, Élio continuait à raconter au jeune homme toutes ses affaires de cœur, dans une espèce de charabia que Soïli s'appliquait à ignorer en maintenant un visage impassible. Face à eux s'agitait une famille entière composée de femmes et d'enfants qui couraient dans leurs pattes en se suivant joyeusement. Une douce odeur de café flottait dans l'air mêlée à celle plus dure de friture, de pain et de pâtisserie. Sur une table ronde recouverte d'une nappe ainsi que d'un ciré transparent étaient disposés toutes sortes de mets fumants et colorés.

   — Ah ! Te voilà ! s'exclama une des deux femmes qui se trouvaient dans la pièce, dans un léger accent italien.

Elle tenait un bébé dans dans ses bras, enveloppé d'un châle brodé et un peu usé, et qui s'amusait à fermer ses petits doigts potelée au niveau du décolleté de sa mère. Soïli s'apprêtait à lui répondre lorsqu' Artième débarqua dans la pièce, venant visiblement de l'extérieur. Son visage se crispa quand il posa les yeux sur Elio qui tenait toujours la main de sa "copine".

   — Je ne t'avais pas dis de le laisser tranquille ?!

L'interrogé se réfugia derrière les jambes de Soïli en arborant une moue exagérément pitoyable.

   — C'est moi qui lui ait dit d'aller le chercher, le défendit la femme. Bien manger le matin est plus important que de trop dormir.

L'enfant étira un sourire espiègle tandis qu'Artième soupira bruyamment en levant les yeux aux ciel. Il s'approcha de Soïli, lui donna une petite tape derrière l'épaule et lui fit signe de s'installer à côté de lui, autour de la table. Les autres membres de la famille les imitèrent. Elio se plaça à gauche de l'invité, suivit de la jeune mère qui posait son bébé dans une chaise haute, puis de deux autres enfants (un garçon et une fille) qui semblaient avoir un peu plus de dix ans, et enfin d'une autre femme qui paraissait la plus âgée. Ils se donnèrent ensuite tous la main, la tête et les paupières baissés et dirent les grâces en mentionnant — à sa grande surprise — Soïli, avant d'enfin commencer à manger.

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