Chapitre 20 : Quelques bouchées du fruit défendu

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A peine Soïli eut-il finit de se préparer pour sortir qu'il tirait déjà — de sous son matelas — un dossier de feuille grossièrement pliées en quatre. Comme à son habitude, il les lu une fois, deux fois puis trois, avant de constater que "Shun" n'y était pas inscrit. La veille, Günther avait posé de nouvelles listes, sur son bureau pour que Soïli les trouvât au petit-matin. Ce dernier avait préféré attendre un peu avant de les analyser, peut-être par crainte d'essuyer une énième déception, ou peut-être parce qu'il perdait peu à peu espoir en sa stratégie.

A chaque tournois, un club pouvait rencontrer cinq autres au maximum, dans le cas où il arrivait jusqu'en final. Sachant qu'il y avait dix écoles au total et qu'il existait un risque de tomber sur les mêmes à la saison suivante, Soïli se disait que trouver Shun relatait presque de l'impossible. Sans compter les changements de membres et le fait que rien ne lui garantît véritablement que son ami fît partie des combattants, perdre espoir était presque le plus rationnel de tous ses sentiments.

Cependant, si l'être humain n'était que rationalité, pourquoi existerait-il des guerres, famines, discriminations et inégalités sociales ? Alors bien qu'il fût rongé par cette envie de se morfondre sur son sort et de tourner la page sur sa raison d'être, Soïli se refusa — une fois de plus — à être raisonnable.

   — Tu sors encore ce soir, Lili ? Prononça une voix chantonnante et enfantine depuis le lit du haut.

   — Hm.

Gessner rangea ses feuilles et se leva de sa chaise pour enfiler son blouson en cuir. Il ignorait le regard insistant de Minam qui balançait ses pieds d'avant en arrière.

   — Et cette nuit, tu dors ici ?

   — Je dors toutes les nuits ici.

Le coréen explosa de rire en s'asseyant en tailleur sur son lit.

   — Pourquoi tu mens, Lili ? Je sais quand tu n'es pas là.

Soïli maintint un visage de marbre et lassa ses chaussures.

   — Même si tu es en bas lorsque je ferme et ouvre les yeux, la nuit je sens ton absence... tu veux savoir comment ?

Ne voulant pas s'attarder un instant de plus, Gessner arrangea à peine sa frange avant de se précipiter vers la sortie. Il posa sa main sur la poignée, prêt à l'ouvrir, mais se figea lorsqu'il entendit :

   — Tu pleures.

Minam attendit une seconde supplémentaire, un léger rire mesquin confondant son souffle, puis ajouta :

   — Tu pleures dans ton sommeil. Tout le temps.

Soïli ouvrit la porte et la claqua derrière lui avant de rejoindre sa bande qui l'attendait à l'extérieur.

En chemin vers leur pub favorit, les quatre juniors marchaient d'un pas trainant et irrégulier. Soïli avait décidé de se placer à l'opposé d'Artième, à la surprise générale. Eli enroula alors son bras autour de son cou et tourna la tête vers le Sicilien.

   — Hé, Art' ! Qu'est-ce que t'as fais à notre Sissy pour qu'il t'en veuille autant ?

L'interrogé fixa un regard irrité vers l'horizon et engouffra une sucette entre ses lèvres.

   — Ça te regarde ?

   — Argh ! J'ai jamais vu ce connard aussi froid...

   — Fous leur la paix, mec, intervint Lucas.

Eli grimaça, vexé, et se réfugia dramatiquement dans les bras de Soïli qui tentait de s'écarter discrètement de lui. Mais le plus âgé l'entrainait vers son corps en aggripant sa taille d'une poigne ferme. Une vague de frisson algides envahit alors sa peau. Et il ne comprit la raison qu'une seconde plus tard, lorsque tout le groupe se figea pour venir s'incliner légèrement face à deux titans.

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