Des hurlements graves, violents et paternels raisonnaient bruyamment dans ses oreilles comme pour lui déchirer les tympans. Des mains graves, violentes et paternels s'agitaient pour l'empoigner. Et un visage au dessus de lui le faisait trembler — grave, violent et paternel.
Puis, brusquement, tout s'arrêta. Les cris, les gestes et la lutte cessèrent presque aussi violemment qu'une claque en plein visage. Puis du sang, beaucoup trop de sang ruissela sur lui.
Soïli se réveilla en sursaut.
Ses yeux affolés scrutèrent la pénombre épaisse de sa chambre, son corps entièrement raide et effrayé palpitait sans modération, et son souffle se bloquait à chaque fois qu'il tentait de respirer. Il avait beau ouvrir largement la bouche pour y faire pénétrer de l'air, rien ne passait. Il plaqua sa main sur ses lèvres et se força à inspirer par le nez pour canaliser son hyper-ventilation.
Il se mit en boule, assis, la tête dans les genoux, et clignant à peine des yeux. Il lui semblait voir ce tableau d'horreur à chaque fois que ses paupières s'abaissaient, comme si elles étaient le seul rempart entre son souvenir et la réalité. Peu à peu, il se calma. Il se rallongea en soupirant longuement, lasse de faire ce cauchemar une fois de plus.
À présent, il ne lui restait plus qu'à attendre les premières lueurs du jour, le regard fixé sur les lattes du lit de Minam.
Cela faisait environ trois ans que Soïli n'avait pas fait ce rêve. Il se souvenait encore de la façon dont il hurlait à plein poumon, comme si son corps était celui qui se retrouvait transpercé par le couteau de cuisine. Durant presque douze mois, il se réveillait chaque nuit et se tortillait dans tous les sens, de peur, de douleur et de solitude. Puis, ne pouvant plus le supporter, dans un élan de folie, ses doigts avaient saisit un compas de sa trousse, et il s'était mis à déchirer son t-shirt avec en grattant la pointe au niveau de son cœur, griffant sa peau par la même occasion, à l'endroit même où il lui semblait se faire poignarder.
Personne ne pouvait lui en empêcher, son appartement était vide et gelé par la mauvaise isolation, et seul la chaleur maternelle aurait pu le ramener à la raison. Mais elle s'était échappé à l'instant où il en avait le plus besoin.
À cette période, Shun le forçait à se lever tôt tous les matins, courir et s'exercer avec lui à l'heure où même les ouvriers dorment encore. Lui, finissait sa dernière année de lycée tandis que Soïli était encore au début du collège. Il l'aurait bien fait loger chez lui un certain temps si ses parents ne s'étaient pas plaints des crises nocturnes du cadet.Alors, Soïli trop effrayé pour s'endormir et Shun trop sensible pour laisser son ami seul, les deux adolescents se mirent à sortir le soir. D'abord pour boire et fumer à l'abris des regards, mais ensuite pour commettre des délis qui les faisait hurler de rire et visiter le poste de police au moins une fois par mois. Et petit à petit, les cauchemars envahissants s'étaient mis à disparaître.
Soïli ne comprenait donc pas pourquoi, après tant d'années à les avoir chassé de son esprit, ils se remettaient à le hanter. Il leva ses doigts encore tremblottant d'effroi, au dessus de son visage, et réfléchit.
La pénombre de la chambre se transforma alors en lumières éclatantes du Colisée. Il se remémorait la fin du combat. Il se souvint des pensées qui tournaient dans son esprit au point de lui donner la migraine, revit le visage ensanglanté et suppliant de Hans qui agonisait sous son corps, et surtout, il ressentit ses phalanges se fermer peu à peu autour de sa gorge brûlante et humide. Il pouvait comme toucher la peau sous laquelle un cœur paniquait, sous laquelle des cordes frémissaient à la recherche d'air et des muscles se crispaient pour empêcher ses doigts de boucher une carotide.
Son bras s'écroula sur ses paupières et il serra sa mâchoire. Du sang et la mort, voilà les seuls points communs régissant entre ces deux évènements si peu reliés. S'il avait su, un mois et demi plus tôt, que signer ce contrat finirait par lui ramener ses terreurs passées, jamais il n'aurait fait couler l'ancre. Pas même pour Shun.
VOUS LISEZ
Hédonisme
Mistério / SuspenseÉcosse 1950 : Alors que l'économie du pays chute drastiquement pour plonger la population dans la misère, un nouveau système illégal se met en place. Né de la rage des banlieusards et des anciens combattants envers l'État dépendant de l'Angleterre...